[Dunandan] Mes critiques en 2014

[Dunandan]

Meurtre à Yoshiwara, Tomu Uchida (1960)

Tomu Uchida propose dans ce film une histoire plus simple que dans Le Mont Fuji et la lance ensanglantée, quittant le style choral pour opposer deux personnages marqués par la malchance. L'un est un riche tisserand, doté d'une tache sur son visage, source de dégoût des femmes et d'insultes, mais au coeur bon et altruiste. L'autre est une prostituée par défaut, mais ambitieuse et arriviste, et se servira de tous les moyens pour arriver à ses fins et s'affranchir de ses modestes origines. Elle utilisera ainsi la naïveté de son protecteur défiguré en lui reflétant sa beauté par son regard, tandis qu'elle se débarrassera de l'ancien qui désormais la retient dans sa progression. Une dualité qui, certes, manque un peu d'ambition psychologique par rapport au film pré-cité, mais compense par une sublime réalisation qui s'évertue à valoriser ce milieu des geishas fait d'apparences, de paillettes, et de musique traditionnelle qui font tomber tous les clients sous le joug de leur charme, tandis que se tapissent (plus ou moins) dans l'ombre, l'avidité cruelle de ses propriétaires, l'adversité entre filles, et des règles strictes qui ne font que relancer l'ambition de cette farouche nouvelle venue. En outre, le rythme de ce drame social d'époque est très bien géré, et porté par une très bonne direction d'acteurs. Enfin, le climax final apporte une nouvelle signification fort intéressante autour du port du sabre (reflétant à la fois la destinée, l'amour des parents, mais aussi le moyen de se faire honneur face aux détracteurs).

Bref, un sujet assez classique sur le rapport de l'individu à sa destinée et à l'appât du gain, mais transcendé par une réalisation qui retranscrit superbement le cadre des quartiers des plaisirs de Yoshiwara, à la fois fascinant, envoutant et dur, et ses deux portraits finement dépeints (en dépit d'un contraste entre eux un poil trop appuyé à mon goût). Nul doute que Hideo Gosha trouvera ici l'une de ses inspirations pour sa saga des Geishas, tant dans la forme que dans le fond, où les femmes sont réduites également à leur seule valeur marchande, avec une frontière entre opportunisme et respect d'une tradition ancestrale plus que mince. Cette problématique de la femme prisonnière de son origine sociale et évoluant dans un cadre impitoyable a aussi été traité dans Quand une femme monte l'escalier, sorti la même année que le film d'Uchida mais portant sur le contexte contemporain d'après-guerre : une autre belle réussite dans le genre que je conseille vivement aux amateurs.

Meurtre à Yoshiwara est donc idéal pour ceux qui penseraient que le drame social japonais se limite à Ozu ou Mizoguchi, alors qu'un tel film peut très bien, comme ici, parler de problèmes de société, sans forcément être long et chiant. Presque tous les écueils auxquels on pourrait s'attendre sont absents (rythme lancinant, misérabilisme, interprétation ampoulée), et il manque seulement une pointe de subtilité dans le traitement de l'arrivisme qui met à mal le comportement de bon samaritain du marchand, pour que ce film puisse accéder selon moi à un statut un peu plus élevé dans le genre.

Note : 7.5/10

[Dunandan]

CHALLENGE BOM AVRIL 2K14

Hannibal, Ridley Scott (2001)

A part le Michael Mann, j'ai fortement du mal à croire au statut de cette saga. Ridley Scott réalise ici un film de commande globalement impersonnel et presque sans saveur. Certes, ce réalisateur a retenu la leçon par rapport à son prédécesseur, et tente de suggérer encore plus la dangerosité d'Hannibal Lecter, par des scènes glauques et malsaines contre ses poursuivants inspirées du Gallio, ou via son ex-victime défigurée (a contrario le suspens est désamorcé lorsqu'on s'aperçoit qu'il se ballade en toute impunité alors qu'il est l'un des hommes les plus recherchés du monde). Et il ne s'arrête pas là en livrant l'impression que le monde est sans règles (Clarisse est livrée à elle-même, et autour d'elle, rien que des fonctionnaires qui en ont rien à foutre, ou qui se contentent de prendre leur chèque), avec une ambiance napolitaine à base de chants d'opéras et d'environnements de palais qui souligne bien l'état de cette décadence galopante. Mais d'autre part, la réalisation est assez passe-partout (beaucoup de plans cut, sans laisser le temps à la caméra de se poser), et on suit avec difficulté cette enquête diluée contre le serial-killer, qui va finir par mettre en valeur une relation ambigüe entre Clarisse et Lecteur à laquelle on a de la peine à croire. Tout ça se termine par un final grand-guignolesque dont je comprends l'intention, mais qui appuie avec trop d'exagération le trait de manipulation et de mise en scène du docteur, et laisse un arrière-goût de caricature grossière du personnage. Ce n'était peut-être pas une si bonne idée d'en avoir fait un gentleman extérieurement, et un monstre intérieurement, car du coup ça manque clairement de subtilité dans le traitement (les petits ta-ta ou sifflotements, ça m'a tapé sur les nerfs).

Bref, je m'étendrais pas beaucoup là-dessus, car j'ai apprécié très moyennement la partition proposée, qui manque tout simplement de personnalité sur la durée (techniquement, c'est en mode auto, même si la volonté d'incorporer des ambiances de films d'horreur italiens est bien vue) ou d'histoire accrocheuse. Le casting, c'est pareil : il est bon, mais pas très impliqué, et à part le duo Clarisse/Lecter, et l'ex-victime (Oldman, bluffant et flippant avec ce qu'il arrive à transmettre derrière le maquillage), aucun ne sort réellement du lot. De plus, ce film poursuit plusieurs idées à la fois (la relation entre le docteur et Clarisse, l'enquêteur italien, le fonctionnaire de la justice, son ancienne victime ...), mais n'en approfondit aucune réellement. Je pense que je vais plutôt me tourner vers la série, qui a l'air d'être un meilleur crû dans le genre. Je commence à préférer carrément l'oeuvre de Tony Scott à celle de son frère, pour être parvenu (presque toujours) à transcender les scénarios qu'on lui a remis en mettant un peu de lui et de sa patte.

Note : 5/10

[angel.heart]

Ridley Scott réalise ici un film de commande impersonnel et presque sans saveur...

...qui manque tout simplement de personnalité ou d'histoire accrocheuse.

Je ne suis pas du tout d'accord avec ça. Au contraire je trouve qu'il y a de la personnalité, du style...

Du film, j'aime particulièrement son ambiance baroque, parfois proche du giallo, ses excès et son romantisme.

[Dunandan]

Oui, ça concerne notamment 2-3 scènes, et certains cadres (le château, l'église, etc.), ce que j'ai souligné même si je n'avais pas la référence précise en tête. Mais l'aspect général du film ne m'a pas donné l'impression d'un effort de personnalisation sur la durée. Et c'est surtout la manière de filmer de Ridley Scott que je critique : techniquement, il est souvent en mode automatique.

Edit : voilà, j'ai rajouté ces précisions pour être plus clair, car je voulais dire impersonnel sur la durée. Bon, qu'on soit pas d'accord c'est un autre soucis, mais là je peux plus rien faire ^^.

[angel.heart]

N'ayant pas revu le film depuis une dizaine d'année, je ne peux pas vraiment en débattre de façon pertinente.

Disons simplement que j'ai raison et n'en parlons plus...

Sinon je suis globalement d'accords avec toi sur Meurtre à Yoshiwara. Bien que je sois un poil moins généreux sur la note.

[Pathfinder]

Tu déconnes à plein tube là Dun'!
Impersonnel mon cul!

[Dunandan]

Je dois avoir un soucis avec les psy qui bouffent leur patient .

Sinon, concernant la réal', au-dehors de ses oeuvres épico-historiques et La chute du faucon noir, j'ai du mal avec R. Scott depuis une bonne quinzaine d'années ...

[dagokhiouma]

élu aigri du jour

[Dunandan]

Crazy Kung fu, Stephen Chow (2004)

Je revois toujours avec plaisir cette KF comedy, qui me donne envie de découvrir plus de Stephen Chow (je connais rien d'autre que Shaolin soccer). Sa force, c'est d'abord son esthétique colorée à la Suzuki qui apporte une atmosphère décalée vraiment appréciable, puis son ton qui ne se prend jamais au sérieux. Le tout combiné à un véritable hommage au genre '70, servi par des chorégraphies qui livrent la marchandise. Un sentiment de puissance se dégage de ces personnages des pauvres quartiers que j'ai rarement retrouvé ailleurs que dans les mangas, et qui auront à livrer bataille contre le gang à la hache sévissant en ville (et surtout leurs tueurs à gage), qui jouent par ailleurs beaucoup autour du sentiment qu'ils vont se faire dérouiller (la grosse tapette, la propriétaire aux bigoudis et à la cigarette au bec, etc.). Et plus ils ressemblent à rien, plus ils envoient du lourd. Il y a un paquet d'effets numériques, et si d'habitude ça ruine l'effet authentique des combats, ici au contraire, ça sert brillamment l'esprit cartoon, délirant, et surréaliste de la bobine où tout le monde a l'air d'être invincible ou presque (à ce titre Lam Suet prend cher). Bien sûr, il ne faut pas s'attendre à une histoire absolument géniale dans le fond, mais le style Stephen Chow, très différent de celui de Jackie Chan, apporte le petit plus qui fait la différence en nous surprenant constamment par de petits détails incongrus et surprenants (genre le gamin qui se promène le cul à l'air, ou le couple qui règle ses comptes à coup de mandales dans la tronche), des références à la pelle (bip-bip et le coyotte, Shining, Matrix, le western, et bien sûr du Shaw brothers). Sans oublier son petit coeur tendre, car on s'attache facilement à ces loosers d'apparence, et à cette fille muette qui va réveiller la sensibilité de ce personnage incarné par S. Chow, en premier lieu maladroit, naïf, et pitoyable (j'adore cette scène où un clochard lui vend ce guide de KF pour les nuls), puis rayonnant lorsque vient sa métamorphose en grand maître d'arts-martiaux.

J'ai peu de bémols à soulever, mais j'aurais bien aimé un peu plus d'affrontements, et j'avoue qu'on reste un peu sur notre faim avec un combat final qui se règle trop rapidement. Si au Japon nous avons Matsumoto pour l'humour coloré, absurde, et non-sensique, en Chine nous avons Stephen Chow pour nous stimuler les zygomates. Mangez-en, c'est bon pour la santé.

Note : 8/10

[Dunandan]

N'ayant pas revu le film depuis une dizaine d'année, je ne peux pas vraiment en débattre de façon pertinente.

Disons simplement que j'ai raison et n'en parlons plus...

Sinon je suis globalement d'accords avec toi sur Meurtre à Yoshiwara. Bien que je sois un poil moins généreux sur la note.

Oui, t'as probablement raison par rapport au point de l'atmosphère créé par Ridley Scott qui effectivement livre un boulot assez intéressant. Par contre je supporte de moins en moins sa réalisation en "mode automatique" ^^ (façon de placer sa caméra, durée de ses plans, etc.). C'est "ça" que je qualifie d'impersonnel, ou en tous cas de peu impliqué (même Nolan, peut reconnu pour ses qualités formelles, je le trouve plus créatif).

Pour le Tomu Uchida, c'est quand même cool de découvrir encore du ciné japonais "classique" intéressant (car tout ne m'attire pas), qui n'a rien à voir avec les yakuza ou les samourais ... En tous cas, ma plus belle découverte dans le genre du drame social avec Naruse & Shindō (je pense peut-être faire un topic sur le sujet).

[Etheroman]

Intéressant ces influences giallesques. Style que je ne connaissais pas lorsque j'ai vu Hannibal.

Je n'ai pas visionné les Lecter depuis des plombes, Dragon rouge jamais. Je devrais me faire un cycle en finissant par la série.

Belle critique de Crazy kung fu que j'adore et pourrait visionner en boucle.

[elpingos]

Pour Crazy Kung-Fu

[Dunandan]

Merci les gars (ça faisait une éternité que je ne l'avais pas revu, et ça fait du bien ^^)

[osorojo]

Tu me donnes envie de me le refaire, vu qu'une fois, mais j'en ai un super souvenir

[Dunandan]

Vampire Girl vs. Frankenstein Girl, Eihi Shiina (2009)

Légèrement mitigé par ce DTV japonais. Du peu que j'ai vu, c'est celui que j'apprécie le moins, sûrement à cause de son ton un peu trop hystérique, comique, et geignard pour moi. Je sais qu'il ne faut pas s'attendre à une bonne direction d'acteurs dans ce genre de production, mais ma limite de tolérance a été franchie plusieurs fois, surtout au début dans la salle de classe avec élèves et des profs qui déploient un festival de grimaces. En outre, les CGI ne sont pas toujours jolis-jolis, et il manque un peu d'effets gores (on est venus pour ça à la base), souvent trop masqués avant le climax final. Cependant, la marchandise est globalement au rendez-vous, en commençant par une intro réussie dans le genre, avec un arrache de tronche particulièrement inventif, puis une caméra régulièrement inondée d'hémoglobine. Ensuite, les confréries de lycéennes m'ont bien amusé (il ne faut pas avoir peur du mauvais goût), en forçant bien le trait du cliché black (bouches énormes absolument affreuses), chinois (à la mode Confucius) et des suicidaires japonaises (avec un concours particulièrement fendard de tranchage de veines), dont la finalité est bien sympa par rapport à la façon dont Frankenstein va se servir de tous ces petits bouts d'humanité caricaturée ...

Du gore

Dans le mélange des genres, c'est pas mal du tout, l'histoire se tient à peu près, avec une Love story vampirique en mode manga, qui se complique avec l'arrivée d'un gang de Lolita girls qui ont des vues sur le garçon, et surtout d'un savant fou brimé comme le mec bizarre de Kwaidan, qui se sert de clous vivants pour utiliser des membres humains à sa guise, ce qui crée des trucs parfois vraiment rigolos et surprenants, du bon bricolage fait maison. Le dernier quart d'heure, comme souvent dans ce genre de production, c'est du free style où tout le potentiel du concept est assez bien utilisé, même si j'ai déjà vu mieux (Machine Girl et Versus pour ne citer que ceux-là). Et derrière tout ça, il y a une bonne petite récupération du mythe vampirique (le sang vivant qui se ballade et circule entre les corps) et de celui de Frankenstein (qui justifie des combinaisons "autres" bien fun).

De l'humour qui tâche

Bref, du plaisir forcément un peu coupable, parfois con-con, souvent poussif dans les effets, avec des excités du bocal qui vont loin dans leurs délires, tout ça tempéré par le calme et le charme des deux tourtereaux (surtout Vampire Girl, bien sûr). Ces derniers sont bien sûr perturbés par leur environnement, sinon ce ne serait pas drôle, ce qui donne ainsi lieu à une certaine inventivité dans les effets gores qui feront le bonheur des bisseux du coin, même si, je me répète, l'utilisation trop visible du numérique ruine parfois un peu le plaisir.

Mais aussi de la poésie

Note : 6.25/10