Cold Fish de Sono Sion (2010) - 8/10
Avec Cold Fish, deuxième volet de sa trilogie de la haine, Sono Sion nous dépeint une nouvelle fois, et toujours avec le même talent, sa vision nihiliste de la famille japonaise, notamment dans une dernière partie de film à la violence tentaculaire. La jeunesse incarnait un vecteur d’espoir face à un monde d’adulte comprimé et désorienté dans Love Exposure alors que Guilty of Romance sera un constat d’échec viscéral face à l’émancipation du désir d’épanouissement féminin dans un environnement social hostile. Ici tous les thèmes de Sono Sion sont de retours : dislocation familiale, incommunicabilité entres les membres d’une même famille, incompréhension entre les générations, refoulement des désirs, impossibilité d’accomplir ses rêves, déshumanisation des rapports humains, compétition narcissique face à l’argent, l’écrasement psychologique de l’individu, tout y est représenté avec le style habituel à la fois outrancièrement grotesque et magnétiquement féroce du réalisateur. Chaque partie de cette trilogie s’interroge sur une des facettes de l’enclos familial et cette fois, Cold Fish s’intéresse à la critique du père de famille et au symbole de la dérision de son autorité sous-jacente. Shamato, père d’une fille avec qui le lien est rompu, propriétaire d’une boutique misérable de poissons tropicaux, mari d’une femme magnifique qui ne le désire pas, il est un homme au charisme peu évident avec ses airs de victimes du lycée, se laissant manipuler et dicter sa conduite par plus fort que lui. Sono Sion construit le début de son film grâce aux contradictions, faisant se rencontrer les opposés pour mieux dessiner leur contour.
C’est à ce moment que Shamato va faire la connaissance de Maruta, entrepreneur au bagout ravageur et marié à une ravissante et perverse femme fatale, qui va l’insérer dans un monde de magouilles criminel et monstrueux où domine la loi du plus fort. Ne parvenant pas à se sortir de l’influence néfaste de cet homme, Shamato va subir sa vie, voir s’effondrer tous les piliers sur lesquels reposent son existence, se dégrader sa condition d'homme libre, vivant presque sous ses ordres de Maruta à coup d’humiliation et d’intimidation. Se servant de la critique sociale comme pied d’encrage, Sono Sion est toujours aussi libre dans ses choix visuels sachant toujours nous faire profiter d’une ambiance glauque à souhait, presque mystique où se mêle parfaitement effet gore coup de poings et érotisme ultra sexué ( les plastiques renversantes d’Asuka Kurosawa et de Megumi Kagurazaka) . Le récit est écrit de façon presque pyramidale, photographiant parfaitement l’état d’esprit de chacun des personnages tous plus individualistes les uns que les autres malgré un sentiment de longueurs dans la victimisation de Shamato, et va monter étape par étape en tension pour arriver aux moments clés de l’aliénation pure et dure de cet homme qui a refoulé toute sa personne durant pratiquement sa vie entière où il se rendra compte qu’il ne peut plus continuer à vivre dans cette direction, enlevant le voile qui dévisageait l’horizon moribonde de sa destinée. Sono Sion fait flamboyer tout son talent durant ces vingt dernières minutes de films à la violence visuelle et psychologique presque misanthrope, fataliste, époustouflante où la noirceur de la vie se recoupe avec la jovialité de la mort, où tout espoir de réconciliation avec la vie est dérisoire. La plaie était trop profonde pour pouvoir cicatriser.