⌲ MEMORIES OF MURDER (2003)
de Joon-ho Bong avec Song Kang-Ho, Kim Sang-kyung, Hee-Bong Byun.
Histoire: En 1986, dans la province de Gyunggi, le corps d'une jeune femme violée puis assassinée est retrouvé dans la campagne. Deux mois plus tard, d'autres crimes similaires ont lieu. Dans un pays qui n'a jamais connu de telles atrocités, la rumeur d'actes commis par un serial killer grandit de jour en jour. Une unité spéciale de la police est ainsi créée dans la région afin de trouver rapidement le coupable. Elle est placée sous les ordres d'un policier local et d'un détective spécialement envoyé de Séoul à sa demande. Devant l'absence de preuves concrètes, les deux hommes sombrent peu à peu dans le doute...
Être flic c'est quoi ? Résoudre des meurtres. Bien. Maintenant: qu'est ce qui fait un bon flic ? L'instinct, la ruse, la conviction, la malice, le flair, l'intelligence, le pouvoir de déduction ? Une de toutes ces qualités, au moins ? Bien. Maintenant qu'est qui relie les deux : la nature et la qualité ? La passion. Cet éclair dans les yeux qui relance la flamme, c'est ça qui fait un flic, un vrai.
Park Doo-man est un flic ordinaire dans une petite bourgade de Corée du Sud dans les années 80. Accompagné de son acolyte très agile par les pieds mais pas très futile par la tête, il tente avec ses moyens du bord de résoudre les prémisses d'une enquête qui s'avérera être une chasse au tueur en série. Problème, son flair semble limité, comme si son nez reniflait mal les proies, comme s'il avait perdu un sens et qu'il tentait de contrebalancer avec un autre. Alors quand il se plante il regarde droit dans les yeux d'un suspect, tente d'y déceler une preuve et après tout, ça doit bien être ça son talent, alors il s'y tient et se base sur son sens pour débusquer sa propre vérité. Et comme l'instinct est quelque chose de subjectif contrairement aux preuves, il va tenter de rendre objective sa subjectivité qui, sans surprise, ne se laisse pas faire, alors il choisit la force et gaspille son temps et son énergie au service de ses sens défectueux. C'est un flic raté. Désabusé.
Seo Tae-yoon est un flic ingénieux originaire de Séoul, venu en soutien de Park Doo-man sur ordre du nouveau commissaire. Seo est pragmatique et relativiste. Il met ses sens de détective au service des faits qui sont son unique base de réussite d'une enquête car "la vérité est toujours dans les documents". Sa vision est linéaire et on ne peut gaspiller son temps si un fait parmi ceux établissant le puzzle de l'enquête ne va pas. C'est alors qu'il faut tout recommencer et chercher une nouvelle preuve, un nouveau document jusqu'à ce que la vérité factuelle éclate enfin. Seo est contre la violence car elle ne fait que ralentir la procédure. Seo est l'opposé de Park. Seo est un flic talentueux. Utopiste.
Seo et Park sont les deux faces d'une même pièce, celle du détective, du vrai. Le rapport de force entre les deux est la plus grande réussite de Memories of Murder, formidable film sur la passion et la conviction du métier de flic mais pas que. Les deux hommes débutent à un point opposé pour finalement se croiser et s'influencer l'un l'autre, jusqu'à se rejoindre lors d'une terrible et mémorable scène où tous les principes et les valeurs éclatent en morceaux pour ne laisser qu'un terrible constat: l'enquête est une chose abstraite comme le mal ou la violence, on aura beau y mettre toute son âme et tout son coeur, elle vous glissera toujours entre les doigts parce qu'elle n'existe pas, ce n'est qu'un mirage censé vous faire avancer et vous faire croire que vous êtes quelqu'un de bien, de compétent, de sain car juste et bon, mais cette force sera toujours obscure et fuyante, comme l'ombre cachant le fond d'un tunnel. Et de cette frustration né la folie. Quand la ligne est franchie, qui peut prédire ce que même un bon flic peut être capable de faire ?
Memories of Murder fait partie de la quintescence du genre propre au cinéma coréen éclatant durant les années 2000, avec des films comme Bitersweet Life, The Chaser ou plus récemment, I Saw The Devil. Mais contrairement à ces consorts, Memories jouit d'un rythme et d'une ambiance bien unique. Le film n'est pas rapide, nerveux, brutal comme peuvent l'être les films de Na Hong-jin et Kim Jee-woon. Il est au contraire assez lent, peu rythmé mais possède une capacité d'accélération extraordinaire. Passer d'un moment lent à la création d'une péripétie, en un claquement de doigt. Sans que l'on ne s'en aperçoive, le moment est déjà là et il se passe quelque chose de fort. Rares sont les films à comme ça donner l'impression qu'il ne se passe rien pour mieux nous surprendre la seconde d'après. Plus que cette notion de rythme et cette maitrise dans les a coups, le film est brillamment construit et tenu. L'enquête est pas toujours palpitante mais toujours passionnante -ce qui rejoint en fait le rythme et la maitrise, puisqu'en fait cela revient au même: la narration. La mise en scène est variée, parfois posée, parfois habitée, voir hantée. Les deux acteurs principaux partagent d'ailleurs ces mêmes qualités. Bref Memories of Murder est un film brillant, qui prend son temps pour mieux vous surprendre et vous attraper par les tripes mais sans la prétention que peuvent avoir certains polars, coréens ou non. Un grand film, en somme.
9.5/10