Alors que tout semblait avoir été dit sur le genre du
Yakuza eiga avec Kenji Fukasaku et Takeshi Kitano, Toshiaki Toyoda marque aussi un grand coup et pose sa marque de manière indélébile. Après une introduction qui ressemble au clip de
The Verve avec cet électron libre et ce yakuza qui se rencontrent, après avoir progressé au milieu de la foule encombrée à coups d'épaules au rythme d'une bande-son rock-punk, ce réalisateur sait comment mettre en scène ses personnages.
Pornostar, comme pour Kitano, n'est pas un film où l'intérêt repose sur l'histoire, mais sur la manière dont elle est racontée, à coup d'images frontales, allusives, et parfois symboliques. C'est ce qui donne son caractère à cette histoire a priori déjà vue et revue, portant sur ce personnage aux origines mystérieuses qui est embauché par un clan fauché de yakuza, composé d'un vieux patriarche à cheval sur les principes et la tradition. De jeunes désoeuvrés qui n'ont que ça pour exister.
Lorsque Toyoda dépeint la jeune société japonaise, il semble suivre les traces de Kitano avec des personnages enfermés dans leur bulle, sans porte de sortie apparente, irrécupérables. Mais si les yakuza hurlent avec fierté leur appartenance à leur caste, leurs employés, jeunes et immatures, évitent toute prise de risque, et préfèrent se pavaner et jouir des avantages de leur condition sans demander leur reste, en refilant le sale boulot au nouveau venu qui a l'air d'avoir peur de rien, ce qu'ils regretteront amèrement en faisant ainsi entrer le lion dans la cage. Un visage assez nuancé de ce milieu criminel, car au fond ce ne sont pas des mauvais bougres, et il le sera encore plus par la suite. On dit aussi que c'est par ses relations qu'on se définit, selon la vieille pensée yakuza du boss. C'est alors que la séquence avec la bande de jeunes skaters prend tout son sens, reflétant d'une part l'identité errante non fixée de cet individu mystérieux quasi muet, et d'autre par l'espoir flottant incarnée par cette fille qui voudrait aller voir le Mont Fuji, sûrement pour quitter l'air vicieux de la ville proche de l'implosion, comme pour signifier que le destin n'est pas encore scellé. Mais là où Toyoda et Kitano différent complètement, c'est dans l'absence totale de fuite (symbolisée par la plage pour ce dernier), incarnée par ce fascinant anti-héros incapable de choisir un camp, tout droit sorti d'un western qui sème la mort autour de lui, en commençant par les yakuza, puis en continuant avec tous les déchets de la ville reliés à eux.
Enfin, la réalisation est au service de son sujet. Malgré le manque de budget (qui permet en fait une bonne dose d'ingéniosité), on a droit à des compositions de plan d'une noirceur saisissante, figurant entre-autre la contamination galopante de la violence, et tournant autour des pulsions auto-destructrices de ce phénomène. Car assurément, il s'agit d'une oeuvre qui va au bout de ses intentions, ne souffrant d'aucun compromis, tout en proposant tout de même une pointe d'optimisme en fin de pellicule. L'alliage entre nihilisme et poésie (merci Mark pour la formule), voilà la grande réussite de ce film, qui en fait un parfait successeur de Kitano tout en apportant sa patte personnelle.
Avant
Blue spring qui sonnera le glas d'une adolescence souffrante en quête de sens,
Pornostar s'occupait donc déjà de leur cas à travers le cadre des yakuza et leurs réseaux pourris jusqu'à la moelle, de la manière la plus crépusculaire qui soit. Une oeuvre
Punk, hypnotique et fascinante, qui nous fait ressentir l'atmosphère asphyxiante et en ébullition des bas-fonds japonais modernes, grâce à une sublime réalisation - tant dans l'utilisation de la bande-son que celle de ses images nerveuses - et un casting très convaincant. Ce qui compense l'impression légèrement brouillonne qui peut s'en dégager, qui me fait surtout penser que Toyoda a beaucoup à donner de sa rage - un point commun qu'il partage avec Tsukamoto - et résultat, on en prend plein la gueule.
Un indispensable pour quiconque aime le cinéma japonais contemporain, à mi-chemin entre la poésie visuelle et mélancolique de Kitano et l'énergie rageuse et urbaine de Tsukamoto.