Hana-bi de Takeshi Kitano (1997) - 10/10
Si vous vouliez une définition du mot mélancolie, Takeshi Kitano vous la donne avec une humilité presque sans égale dans Hana-bi, film crève-cœur tout en sensibilité et délicatesse. Un flic décoré, mutique, avec un passé qui pouvait s’avérer violent, voit impuissamment sa famille se désagréger devant ses yeux. Sa femme souffre d’une maladie incurable alors que quelques années auparavant sa fille avait perdu la vie. A ses côtés, un de ses anciens collèges perd l’usage de ses jambes après une fusillade qui a mal tourné et qui par la suite, va se découvrir une passion pour la peinture et l’art en général lui permettant d’affranchir son esprit pendant que sa femme et sa fille ne veulent plus entendre parler de lui. A quoi bon être un flic soucieux de son travail si c’est pour ne pas en profiter et voir le destin s’abattre sur soi ? A quoi bon se tracer une ligne de conduite si c’est pour voir sa femme dépérir jour après jour ? Le sujet est lourd, montrant une population dévastée et des adultes toujours aussi timorés quant à l’expression de leurs émotions, mais Kitano a l’art de ne jamais en faire des tonnes grâce à une écriture toujours aussi inspirée qui mélange les tonalités avec aisance et une mise en scène sur la brèche, jamais tape à l’œil mais à la classe inoubliable.
Dans Sonatine, Kitano avait inséré une véritable bouffée d’air frais dans la vie d’un Yakuza suicidaire, avec cette virée sur une plage isolée comme symbole d’un îlot libérateur. Dans Hana-bi, malgré la présence d’un humour toujours aussi bien dosé (à l’image du mécanicien ou des deux joueurs de Baseball), chaque scène sent la détresse dans cet univers d’adultes qui sont au fond du trou pour la plupart, chaque silence est étouffant de non-dits, chaque acte de violence est d’une sécheresse animale, inévitable, presque robotique car la mort est proche. Mais cette fois ci, l’humour se transforme en ironie pessimiste, essayant de cacher tant bien que mal une désespérance presque joyeuse. La sentence est déjà décidée mais elle ne lui fait pas peur lorsqu’un yakusa lui pointe le bout de son flingue sur le devant du visage. Il ne bronche pas, il acquiesce presque.
On ne sait pas ce que pense réellement ce flic déstructuré, il se cache derrière le reflet de ses lunettes de soleil. Il vit comme on lui a appris, c’est-à-dire par une agressivité soudaine et imparable comme lorsqu’il s’en prend à deux jeunes mécaniciens dans un parking. Ne voyant plus aucune issue à son sort et à celui de sa femme, il décide de se mettre au-delà des règles en braquant une banque pour offrir à sa bien aimée, un dernier voyage salutaire. Ces règles de bien ou de mal, cette hiérarchie des lois existent elles encore ou est-ce que cette société ne fait-elle pas qu’engendrer du malheur sans positionnement ? Le système lui tout pris, la médecine a progressé mais pas assez pour sauver le peu d’humanité qui lui reste. Il sera poursuivi par des yakuzas avec qui il discutera de manière virulente et sans compromis, l’enquête policière le filera, mais il essayera de vivre des moments paisibles avec sa femme, pour lui redonner le gout de vivre, pour la simple volonté de revoir son sourire sur son doux visage.
Les personnages parlent peu, mais en disent beaucoup sur les états d’âmes qui les habitent. Un simple jeu de carte alors qu’il triche en regardant dans un rétroviseur, une simple photo d’elle seule alors que lui reste sur le bas-côté pour fumer sa cigarette, le simple son de cloche ayant pour but de remplir le cœur d’un enfant curieux, éveillent chez le spectateur des hauts le cœur de déchirements. Il fera tout pour laisser sa femme en dehors de tous les travers de la vie qui feront obstacle à cette quête salvatrice d’un dernier bonheur. L’amour intérieur et freiné qu’il dégage est aussi flamboyant que les pulsions violentes qui surgissent du film comme des éclats de folies, des fulgurances irrattrapables. Le style Kitano est toujours aussi particulier avec ce mélange de genre et cette liberté de langages cinématographiques soufflant le chaud et le froid à chaque instant. Que dire, de la fin, réelle ou imaginaire avec les réminiscences d’un vrai moment de familles, avec le sourire de deux parents amoureux voyant pour la dernière fois la tendresse de leur fille, prenant le bonheur qu’il leur a été retiré. Deux balles restent, et sonnent le glas, pour faire s’échouer le son des vagues dans une tristesse qui résonnent de longues minutes après la fin du générique.