En raison des avis radicalement opposés en ces colonnes, j'avançais un peu à reculons. Parmi les critiques négatives qui m'ont marqué, j'y ai lu un procès d'intention envers le choix de la famille américaine
versus les autochtones, des réactions soit-disantes incohérentes de leur part, ou encore un pathos omniprésent. Nous n'avons pas vu le même film. J'ai trouvé à la place un drame poignant de bout en bout, soutenu par une réalisation à la fois intimiste et réaliste, incluant une pointe de symbolique qui puise toujours parmi les éléments du réel, ce qui en fait toute sa force. Plus qu'une catastrophe naturelle, on a affaire à un drame humain qui touche tout le monde avec des décisions et des comportements pris dans le vif de l'action, nous touche en tant qu'humain, peu importe notre nationalité ou notre couleur de peau.
Reprenons depuis le début. Je ne pense pas que l'implication émotionnelle aurait atteint le même degré d'intensité avec les habitants du coin, car l'isolement face à une telle catastrophe d'une famille qui vient de l'extérieur, est forcément plus grande. En fait ce film utilise simplement les ficelles du tire-larmes en se basant sur des faits réels, à savoir rendre cette histoire la plus forte possible aux yeux du spectateur, tout en préservant la crédibilité qui en fait tout son sel. Et effectivement, j'ai rarement connu une immersion aussi puissante et touchante. D'abord avec le début qui montre une famille unie comme il y en a tant, divisée par l'évènement du tsunami qui est déjà une sacrée baffe sensitive en soi, le film de Eastwood qui débute par la même scène peut se rhabiller. On passe ainsi du cadre bien protégé de l'hôtel, en un rien de temps, à un
survival physique, et surtout psychologique, avec toutes les conséquences que cela implique.
Ce qui a été aussi reproché au film, ce sont les réactions parfois peu crédibles des membres de la famille, mais ces petites incohérences sont ce qui font un beau drame humain. Car en fait ce que chaque personnage vit pourrait refléter un point de vue possible autour de ce genre de situation, lorsqu'on est livré à soi-même. L'impuissance physique de la mère, l'initiation du jeune garçon qui passe de la survie égoïste à la solidarité, le père pris au dépourvu qui enchaîne les maladresses, les deux petits frères qui résument l'intention du film le plus simplement possible, ou les autres familles qui hésitent entre la solidarité ouverte et l'égoïsme protecteur. Car la véritable survie commence à deux, et ce principe, si on y est sensible comme moi je l'étais, balaye, et le film en témoigne tout le temps, toutes les barrières nationales, et nous touche en tant qu'humain. L'une des séquences symboliques qui m'a le plus touché, celle sur le ciel étoilé, porte et étend cette pensée jusqu'à l'impuissance de savoir quand il est permis d'espérer ou non, touche notre condition humaine au plus profond de nous-mêmes. Une idée toute simple qui nous replace humblement dans le champ de la création.
Un autre point que j'ai énormément apprécié c'est l'absence de misérabilisme dans la réalisation. Oui il y a du pathos, mais sans exagération. D'abord le contraste entre paradis et enfer naturel est saisissant. Puis ensuite la caméra se met à la hauteur de l'humain, préférant se caler sur la souffrance des visages, ou survoler la catastrophe et ses cadavres, plutôt que d'insister trop longtemps sur les stigmates à vif de la douleur. On ménage ainsi notre fibre sensible tout en la sollicitant de manière très intelligente, où le hors-champ, le rappel d'une situation douloureuse par un objet-souvenir, ou un simple regard valent mille séquences complaisantes dans le voyeurisme de la souffrance brute. Là aussi un bel équilibre entre réalisme, intimisme, et pudeur, est trouvé. Certes, tout est fait pour manipuler nos sentiments vers l'émotion, y compris la musique, mais ingénieusement, elle marque sa présence aux moments adéquats, et se fait presque oublier. Au fond, en raison du parcours éprouvant de cette famille qui a vécu le pire, à savoir l'isolation la plus totale avec la crainte permanente d'assister à la fin de ses proches, la tournure de la conclusion est devenue secondaire. Un faux
happy end d'ailleurs, car saufs de l'extérieur, l'intensité de leurs regards dénote un changement radical en dépit du choix égoïste mais logique du retour, ainsi connectés avec ceux qui sont restés par un petit bout de papier résumant leur "aventure". Par cette unique scène est résumée l'humanisme réaliste, ambivalent du film.
Je pourrais longtemps parler de ce film qui réussit à nous impliquer tout en nous informant de manière globale des différents aspects d'une telle catastrophes naturelle avec le manque de ressources de sauvetage, les erreurs inévitables, l'errance des familles, et bien d'autres points pertinents. Le tout en instillant une petite dose de symbolique et de parcours initiatique jamais pesants, mais nous renvoient simplement à notre condition humaine, notre fragilité et nos faiblesses, mais aussi notre grandeur et nos forces, avec un grand respect pour la population locale qui malgré quelques erreurs de jugement, est montrée comme ayant fait le maximum pour aider les survivants. Le casting est également très impliqué et apporte beaucoup d'authenticité à l'histoire par leur interprétation pleine de naturel. Parmi les acteurs les plus connus, Ewan Mc Gregor et Naomi Watts signent probablement l'une de leurs meilleures prestations depuis longtemps. Bref, certes un tire-larmes, mais très subtil, profond, et intelligent, et évite deux écueils importants à mes yeux pour ce genre de film, à savoir l'ultra-réalisme (tout montrer) et la fable moralisante (imprimer un message trop évident sur un évènement d'une telle gravité).