Les Enfants du Paradis de Marcel Carné
(1945)
Je n'avais pas spécialement la motivation pour écrire une critique de ce film, néanmoins si mon avis écrit peut donner envie à quelqu'un de découvrir ce petit bijou, ça aura valu la peine de se forcer.
Troisième film de Marcel Carné que je découvre, et force est de constater que le bonhomme m'étonne vraiment à chaque fois pour des raisons diverses, au point d'être à mes yeux ce que j'ai pu voir de mieux dans le patrimoine cinématographique français pré-Nouvelle Vague. Les Enfants du Paradis est souvent décrit comme son œuvre la plus aboutie, la plus définitive de sa filmographie, et on comprend aisément pourquoi à la vue de ce très grand film qui est ce que j'ai pu voir de mieux au sein du réalisme poétique français avec Le Jour se lève du même cinéaste. On est donc en face d'un film qui symbolise à lui tout seul ce mouvement largement mené par la plume de Jacques Prévert, qui signe ici un travail de premier ordre, mêlant une tragédie humaine poignante à une tonne de dialogues à la fois percutants, drôles et intelligents (là où je trouve qu'un scénariste comme Audiard tombait souvent dans la gratuité de la punchline, Prévert donnait toujours un double-sens à la moindre de ses répliques). A cela s'ajoute le caractère extrêmement ambitieux du récit, dans un contexte de production pour le moins compliqué. En pleine occupation nazie (avec tout les problèmes que cela engendre, notamment la pénurie de pellicule qui rallonge constamment le tournage), Carné dirige un film de trois heures (divisé en deux parties) qui s'exprime longuement sur la beauté de l'art, le caractère unique de chacun, l'amour, l'amitié, tout en gardant en point de vue une volonté de démontrer la dure réalité de la vie, et notamment tout ce qui touche au destin tragique.
Un puissant récit fleuve, presque choral, qui fait coexister une multitude de personnages qui évolueront chacun à leur façon, avec en point d'orgue un trio amoureux admirablement bien géré. Si le film aurait clairement pu être encore plus marquant avec des acteurs de renom comme Jean Gabin (qui avait alors quitté la France), le casting n'en est pas moins excellent, mentions spéciales à Jean-Louis Barrault et Arletty, tout simplement inoubliables que ce soit par leur jeu respectif ou la présence dégagée à l'écran. Quand à la mise en scène de Carné, elle me conforte dans le fait que c'était ni plus ni moins que l'un des meilleurs réalisateurs français (bien plus qu'un Jean Renoir plus populaire, ou même qu'un Clouzot), et il est étonnant de constater que malgré toutes les déboires du tournage, le film reste un tout parfaitement homogène, en plus d'être sacrément léché visuellement, que ce soit par la photographie somptueuse que par les mouvements de caméra qui témoignent d'un sacré savoir-faire. Bref, un film qui ne vole clairement pas sa réputation de très grand film du patrimoine français, et une œuvre qui me séduit d'autant plus qu'elle est très certainement l'une des influences de certains des mes cinéastes/films favoris (à commencer par la sublime séquence de mime sur scène qui a certainement influencé un passage des Chaussons Rouges du duo Powell/Pressburger).
NOTE : 9/10