Illustrer la guerre, en dénoncer la cruauté peut facilement tourner court car il est difficile de ne pas céder aux appels de l'image choc et gratuite. Requiem pour un massacre évite l'écueil et bien plus, nous montre l'horreur sans exagération, souvent hors champ, avec une froideur clinique qui emprunte au documentaire une prise de vue sur le vif pour nous embarquer au coeur du récit, pour le meilleur, parfois, pour le pire, souvent.
En axant sa caméra sur le jeune Fiora, Elem Klimov nous raconte la guerre à travers les yeux d'un enfant qui va grandir bien malgré lui, chahuté par une guerre d'adultes qui ne fait pas de cadeau. De l'insouciance de son âge, qui le poussait, avec un ami plus jeune que lui, à jouer à la guerre en début de film à la détresse qui l'habitera par la suite devant la cruauté qui peut animer les hommes quand leurs convictions les poussent à oublier leurs principes moraux, Requiem pour un massacre monte en puissance avec patience. Chaque séquence de guerre fait petit à petit basculer le film dans le désespoir avec comme marqueur universel le visage si attachant du jeune idéaliste découvrant la guerre. Au départ marqué par des traits juvéniles qui lui donne un aspect presque de poupon, il va se creuser cruellement, vieillir plus que de raison jusqu'à se déformer d'une détresse qu'il ne parviendra plus à quitter.
La transformation du surprenant Alexeï Kravtchenko est troublante, touche en plein coeur. Il est rare de voir un acteur si jeune réussir une telle performance; dans requiem pour un massacre, si l'on est autant pris aux tripes, c'est bien par la puissance de ses expressions. Elem Klimov le sait bien, sa caméra ne quitte jamais son protégé, et même lorsqu'elle vacille, malmenée par une foule qui se fait torturer, elle parvient à recentrer son cadre sur ce visage troublé et troublant que l'on ne souhaite pas voir s'éteindre.
La lente agonie de Fiora permet au film de monter en puissance sans s'annoncer. La menace allemande se concrétise en effet au fur et à mesure que le jeune révolutionnaire la rencontre. Et sans crier gare, Elem Klimov la personnifie enfin, pour nous achever, littéralement. Rarement une séquence n'aura été aussi éprouvante que ce massacre total perpétré par des allemands ayant perdu tout sens des réalités. Elem Klimov n'épargne personne, encore moins son spectateur, en filmant sans retenue l'horreur d'une guerre totale. La précision de ses images (impressionnante cette force atteinte en jouant avec le potentiel du format 1:37), la puissance de cette caméra mobile qui sait toujours se placer mais aussi et surtout ce travail d'orfèvre réalisé sur les ambiances sonores rendent la séquence si palpable qu'on ne peut que sombrer dans la tristesse, la révolte et le désespoir qui envahit l'écran.
On finit la projection sur les rotules, l'esprit embrumé, les yeux ivres de tristesse, les tympans encore assourdis par la puissance sonore omniprésente dans Requiem pour un massacre. De quoi rappeler avec force qu'un film est une conjugaison de paramètres qui, lorsqu'ils parviennent à tous entrer en harmonie, peuvent nous malmener avec force pour nous clouer à notre siège, longtemps après la séance. Il est en effet difficile de revenir sur terre lorsque Elem Klimov conclut son propos, et c'est, à mon sens, la marque des films à part, la marque de ceux qui parviennent à trouver ce chemin secret et tortueux vers nos sentiments.