J'aime beaucoup ce qu'a réussi Zack Snyder avec Superman. Balayant le ridicule des anciens films (surtout la
love-story niaise et la double-identité bidon), il livre à la place un récit d'une grande maturité et densité sur les origines de Clark Kent, son dilemme identitaire - et non celui de Superman, un point décisif - et sa destinée personnelle (humanité versus kriptoniens), avec une deuxième partie d'un niveau épique extrêmement jouissif où on tâte de la puissance divine de ce super-héros en faisant péter des immeubles entiers. La présence de David S. Goyer au scénario, qui a participé à la trilogie
Dark Knight, était un choix pertinent tant le résultat final me paraît satisfaisant. Certes, on peut reprocher au film quelques ellipses mal gérées, des incongruités, et une émotion insuffisamment développée tant ça va à 100 à l'heure, mais ce défaut s'estompe au profit de ces multiples couches narratives qui par accumulation, épaississent toujours plus le
background de ce personnage de manière fort intéressante, sans aucun bout de gras, bons sentiments, ou psychologie à deux balles. Ce qui fait avancer le récit, ce sont d'abord les décisions ou les actions que vont faire chacun des protagonistes.
Les quarante premières minutes sont la meilleure partie du film, véritablement ambitieuses par tous les fronts qu'elles embrassent. D'abord elles développent de manière efficace tout ce qui amènera Clark à questionner son identité et sa destinée en se focalisant sur ses parents et sa planète d'origine, en implantant un environnement visuel space-opéra jouissif à suivre qui mériterait à lui seul un film entier, avec son idéologie aryenne-colonialiste qui explique les raisons de la funeste disparition de ce peuple aux ambitions démesurées. Un combat du bien contre le mal qui prend une ampleur épique jamais ridicule ou bébête grâce à une forte dimension mythologique bien écrite et nuancée (pour les mêmes raisons, le film d'animation de Snyder a su éviter l'écueil du pur manichéisme) et des acteurs impliqués. Ainsi, Russel Crowe impose par son charisme naturel en tant que père biologique et incarnation du renouveau (choix et espoir
versus génétique et rôles prédéterminés), face au cabotin Michael Shannon qui brille surtout par ce qu'il représente, le protecteur incorruptible et intransigeant de son peuple. Deux personnalités antinomiques qui hanteront le chemin de croix identitaire de Clark.
Ensuite, Snyder réussit à implanter des scènes fortes et emblématiques au cours de ce qui devient un
Superman Begins (la découverte de ses pouvoirs qui l'assimilent à un
freak) et emblématiques, comme tous les échanges que Clark entretient avec ses deux pères sur son rôle à jouer entre ses deux peuples, et ces choix cornéliens de sacrifier des innocents au nom d'une plus grande vocation. Certes, sa relation avec Crowe tient de la pure astuce, mais ça fonctionne compte tenu de cette technologie extra-terrestre remplie de possibilités. Et Kevin Coster est simplement parfait dans le rôle du paternel protecteur mais optimiste envers son humanité (elle a l'air stupide cette ultime scène avec le chien, mais elle prend tout son sens par la suite, et surtout dans la conclusion). Pour figurer cette double destinée qui se met en place, Snyder s'inspire brillamment de
La République de Platon (la hiérarchie naturelle) et du messianisme chrétien (la bonté justifie certains sacrifices). Par contre, on sent parfois que le film ne se pose assez pour que l'émotion prenne aux moments-clé, ou qu'il manque un petit truc, par exemple pour justifier cet élan de bonté des humains (surtout les journalistes et les militaires, les premiers à se livrer à des actes de fourberie) envers la protection du secret entourant Clark, comme si ces 2h30 ne suffisaient pas. Et pourtant ça ne manque de séquences, intimistes ou explicatives : pour moi, c'est aussi au spectateur de s'impliquer et de faire les liens nécessaires (comme dans un comics).
Bref, mon engouement repose surtout sur la combinaison idéale entre qualité d'écriture du scénario, implication des acteurs, résonance épique du thème musical (qui figure très bien la montée en puissance de Clark), un brin d'humour et de romantisme (sans que ça n'affaiblisse le côté "premier degré" du film), et la fulgurance de ses scènes d'action (avec une Loïs Lane qui y prend part et montre ainsi qu'elle ne fait pas partie du décor) qui envoient au tapis toutes les adaptations de Comics réunies. Je retiens très peu de bémols, comme une relative naïveté et un petit manque de fluidité du scénario, mais sans que ce dernier ne sombre jamais dans le manichéisme (comme quoi on peut raconter un combat du bien contre le mal sans se livrer à un tel écueil). Et la réalisation est d'une classe absolue (même les costumes sont beaux, ce qui n'était pas une mince affaire). En un seul film, ce Superman égale les trois Batman de Nolan par sa richesse, sa dimension épique, et ses thèmes traités. C'est là que réside peut-être sa plus grosse qualité et son plus gros défaut (car du coup on survole certaines choses). En tous cas on ne peut pas lui reprocher sa constante générosité.