La Pianiste de Michael Haneke (2001) - 8/10
Erika, femme proche de la quarantaine, est l’archétype de la vieille fille bourgeoise qui s’effondre jours après jours. Professeur de piano, endimanchée de manière sobrement terne avec un long imperméable blanc et une coiffure tirée à quatre épingles, elle habite dans l’appartement familial avec une mère castratrice. Rustre et monotone, sa vie l’est. La nuit, tel un vampire en quête de proie, elle rentre tard. Que fait-elle de ses sorties nocturnes? La routine lui pèse, elle parait froide et aigrie avec tout le monde, notamment avec ses jeunes élèves à qui elle fait vivre un véritable enfer, par mimétisme quant à son passé ou par pur plaisir sournois. Disons le tout de suite, La pianiste s’avérera être une œuvre dure, d’une puissance déshumanisante tonitruante, une descente dans les abysses de la souffrance solitaire.
Par ce fait, Erika semble avoir été éduquée et construite dans un moule duquel elle ne peut se dépêtrer. Comme souvent chez Haneke, le réalisateur va poser son regard clinique sur cette bourgeoisie mondaine et patriarcale qui sclérose les pulsions humaines, qui tait ses propres fantasmes pour en faire des démons inavouables. Subir sa vie comme un fardeau, une pénitence perverse, où sa mélodie la fait maitre de son corps et de ses propres désirs. Derrière la caméra, une distance s’immisce finement et va donner droit à l’éclosion d’une folie moribonde, désinhibée. Cette réalisation froide, faite de longs plans séquence qui allonge la dureté des scènes, instaure une austérité s’engouffrant dans l’absurdité la plus dérangeante, tout en accentuant le fossé existant entre la sécheresse de sa vie de tous les jours et l’âpreté de sa vie privé.
Imbibé par quelques pics visuels stridents et déroutants, Erika s’essayera à de nombreuses pratiques, par détestation de soi ou détestation du monde dans lequel elle vit – mutilation des parties intimes, intrusion dans des peep shows pour sentir des kleenex usagers. C’est durant ces cours instants de vide psychique que les mimiques d’Isabelle Huppert acquièrent toutes leurs ampleurs. Haneke ne va pas dans la subtilité, il mettra les pieds dans le plat en filmant frontalement un drame psychologique peu aimable qui prendra une autre ampleur lors de l’arrivée du jeune Walter. Lui, jeune homme fougueux avec une chevelure blonde scintillante et beau parleur, est fou amoureux d’elle, voulant la débrider mais il ne sait pas encore qui se cache derrière le visage blafard d’Erika.
S’ensuit alors une relation malsaine, un jeu dominé/dominant, filmé sur la corde raide, qui prendra des tournures déviantes, surtout lorsqu’elle lui fera lire pour la première ce qu’elle désire qu’il lui fasse. Moment horrible d’aliénation et d’émotion, où on sent Erika soumise, perdue de ne pas avoir trouvé ce qu’elle croyait être, isolée devant la perplexité de son jeune amant. Au final, l’aridité de la perversion d’Erika aura raison de la conventionalité de Walter. A ce moment, le film se resserre, l’avenir d’Erika est de plus en plus flou, s’appuyant sur une Isabelle Huppert incroyable, faisant sans doute l’une de ses meilleures prestations.
Quid de son mal être et de son malheur ? Difficile à dire si elle est malade, névrotique ou si elle est juste une femme qui veut vivre des sensations fortes. Elle finira seule. Haneke réussit son coup, car malgré la dureté du film et sa violence tant physique que psychologique, la dernière séquence du film est un torrent terrassant de solitude.