Blue Spring, Toshiaki Toyoda (2001)
Sorti entre
Kids return (1996) et
Noriko's dinner table (2002) traitant tous deux du même sujet,
Blue Spring est peut-être la référence ultime du
teenage-movie crépusculaire japonais. Oeuvre courte mais dense, elle capte avec brio la tension explosive émanant d'un groupe de jeunes amis totalement fuckés par la vie. Un seul plan au ralenti suffit pour les personnifier, marchant au rythme d'un son puissant de riffs de guitare d'un groupe punk-rock japonais balançant des paroles décalées au premier abord, mais récelant une poésie noire absolue à leur image. Un film porté par un casting de jeunes d'acteurs qui incarnent leurs personnages avec beaucoup d'intensité et de subtilité.
A coup d'ellipses maîtrisées, le film nous fait suivre le parcours d'une bande de lycéens en situation d'échec, qui passent leur temps à flâner au-dehors des cours. Ce que nous transmet cette oeuvre simple sur le papier, c'est ce sentiment d'auto-destruction qui les anime : rejetés par la société (sans en préciser la raison précise), ils inventent leurs propres règles, par exemple en transformant un jeu d'enfant en dangereuse lutte de pouvoir sur le toit de leur lycée, afin de savoir qui est le chef. Une perspective aussi nihiliste que le refus de certains de se conformer à un destin tout tracé pour eux, ou de réinventer ces principes au gré de leurs violentes pulsions.
Oeuvre déjà sacrément puissante par son propos, elle l'est aussi dans sa forme. Sans esbroufe visuelle, le réalisateur Toshiaki Toyoda est capable d'images frontales jamais gratuites qui jouent beaucoup sur la suggestion, évitant ainsi toute complaisance en préférant créer une atmosphère anxiogène (comme son comparse Kitano) qui nous retourne l'estomac. Il n'oublie pas de placer quelques plans poétiques et symboliques bien sentis sur cette croissance juvénile qui aurait bien besoin d'un autre engrais que des cigarettes (étrangement, c'est un nabot qui incarne ce trait de sagesse, comme pour nous signifier qu'être grand ne se résume pas à son apparence extérieure), où la violence répond paradoxalement à une certaine façon d'éclore en tant qu'individu.
Blue Spring est une oeuvre à plusieurs facettes qui, loin de se résumer à un affrontement entre jeunes, nous révèle leurs contradictions internes. Ainsi, Kujo, le personnage principal, devient chef par défaut et n'assume jamais ce statut, au contraire de son ami qui va jouer par la suite avec les extrêmes. Derrière ce mal-être existentiel, se tapit donc une réflexion sur l'identité et le destin que la société nous impose, sur les rôles qu'on est censé incarner pour simplement devenir quelqu'un. Des cases préconçues violemment balayées par ces individus perdus dans cette spirale de violence qui finit par se retourner contre eux.