Avec Dans la brume électrique, Bertrand Tavernier livre une adaptation réussie de l'univers de James Lee Burke (un auteur que j'apprécie beaucoup, mais dont je n'ai pas encore lu le roman porté ici à l'écran
).
Tavernier a compris que l'essence des écrits de Burke reposait dans l'atmosphère construite par l'auteur et dans son personnage principal. Une atmosphère brillamment retranscrite ici. Là où Burke livre souvent de longs passages descriptifs sur l'histoire de la Louisiane, la faune et la flore, tel coin ou tel personnage, Tavernier multiplie les plans sur la nature, que ce soit lors des passages dans le bayou (bien mis en valeur par la photo de Bruno de Keyzer), des nombreux plans où les personnages discutent avec les paysages ou l'environnement en arrière-plan, ou bien ceux où la voiture de Robicheaux traverse de vastes étendues. Le réalisateur prend son temps pour filmer les échanges entre Robicheaux et ses interlocuteurs: l'immersion dans cet environnement est renforcée par un casting de second plan composé majoritairement d'inconnus et dont on ne remet jamais en cause la crédibilité. Le scénario passe ainsi par les différentes strates de la société louisianaise, de plateaux de cinéma en fêtes données par de riches producteurs en passant par des milieux défavorisés ou les ravages causés par l'ouragan Katrina.
Le film dresse un portrait de Dave Robicheaux fidèle aux écrits de Burke: celui d'un humaniste contrarié, essayant de suivre ses principes, mais en proie à ses propres démons, dont l'alcoolisme, et incapable de contrôler ses accès de violence. Un personnage qui jette un regard désabusé sur l'existence (sentiment renforcé par l'utilisation de la voix-off). Le film comporte une très belle scène où, assis en train de pêcher sur le ponton avec sa femme Bootsie (Mary Steenburgen), il fait part à cette dernière de sa façon de voir les choses. La scène capte à merveille l'incompréhension de son épouse face à ses questionnements, mais aussi les tourments de Robicheaux qui contrastent avec le calme du cadre. Tommy Lee Jones livre une solide prestation, même si physiquement il fait bien 20 ans de plus que ce que l'on imagine à la lecture des romans.
Le reste du casting est à la hauteur, particulièrement John Goodman en mafieux avec lequel il vaut mieux ne pas plaisanter.
Tavernier signe une mise en scène fluide, avec quelques belles utilisation du plan-séquence (celui d'ouverture ou la première apparition des soldats sudistes, notamment). Le réalisateur a tellement bien réussi sa traversée de l'Atlantique qu'on aurait du mal à croire que le film a été réalisé par un Français si son nom ne figurait pas au générique. Le rythme est lent, mais jamais ennuyeux, avec quelques efficaces montées d'adrénaline. Les passages violents sont filmés de manière sèche et abrupte, que ce soit les bagarres ou les fusillades. Le film dispose d'une très bonne BO: morceaux blues/cajun pour l'ambiance, score de Marco Beltrami pour dynamiser les passages où le rythme s'emballe.
Côté scénario, il manque au film un véritable fil conducteur (apparemment, l'enquête est mieux construite dans le roman) et si le réalisateur s'essaie au suspense sur la fin, ce manque d'enjeux fait que le film ne décolle pas vraiment (j'aurais bien aimé une fusillade au fusil à pompe pour conclure le film sur un morceau de bravoure). De plus, le fait que les deux enquêtes soient reliées par la personnalité des coupables, j'ai trouvé ça un peu gros. Quant aux passages avec le général, ils ne font que souligner ce qui est dit dans le reste du film, que ce soit sur les fantômes de l'histoire de la Louisiane (esclavagisme, racisme) qui refont surface, ou sur la personnalité de Robicheaux. Le plan final à la Shining, qui confère à l'ensemble une touche fantastique, je l'ai trouvé inutile.
Mais comme dit précédemment, Dans la brume électrique vaut principalement pour son ambiance et les différentes rencontres que fait Robicheaux lors de son enquête, et à ce niveau c'est une réussite. Dommage qu'il ait fait cette carrière: j'aurais bien aimé voir la même équipe adapter une nouvelle aventure de Belle-Mèche!