Un sentiment mitigé pour ce Woody Allen cru 2013, car s'il ne va pas là où on s'attend, c'est pour mieux souffler le froid sur une histoire qu'on aurait crue et aimée peut être plus heureuse. En choisissant San Francisco comme décor, et en axant son récit vers un nouveau départ, une reconstruction, un peu à la manière d'un Tramway Nommé Désir à l'heure de la crise financière, Allen met en lumière un accident de parcours.
Celui de Jasmine incarnée par Cate Blanchett, tourmentée, dépressive, angoissée. Elle est épatante, à la fois classe, belle et pourtant pitoyable dans ses addictions, du xanax au luxe, et dans son entêtement à reproduire les erreurs du passé. En comparaison sa sœur adoptive chez qui elle emménage (Sally Hawkins) préfère elle une vie plus simple et plus ouverte à ses sentiments et au carpe diem. Le récit est bien tenu, ponctué notamment par des flashbacks explicatifs dont le dénouement donnera le contrepoint coupable à l'histoire de Jasmine. Allen réussit des plans séquences toujours bienvenus quand il s'agit de donner vie à ses dialogues, excellemment menés par des acteurs très justes, seulement coincés pour certains dans des personnages un peu simplistes. De très beaux cadres habillent aussi le métrage, très lumineux, et la petite musique jazzy et quelques péripéties comiques fournissent à l'ensemble le pep's habituel.
Mais sous le joug du marivaudage, l'histoire apparaît parfois ici artificielle, facile sur certains points (la rencontre avec l'ex de Ginger à point nommé), et la malice coutumière de Allen s'enfonce un peu ici dans une dénonciation suraiguë des faiblesses humaines. Point de passion ici, juste de l'intéressement. Les hommes, des salauds, mus par le sexe, les femmes, des profiteuses de leur pouvoir attractif, et tout ce microcosme semble ici animé par un Allen plus amer que tendre. Car derrière le vide des villas qu'il nous présente, derrière la vacuité des dorures et du faste rêvés (peut-on le blâmer ?) le message est-t-il que seule une petite vie simple, sans attente, à l'abri des coups de foudre, permet de trouver le bonheur?
On a connu Allen moins démago et plus incisif. Heureusement Blanchett livre une composition de premier plan, et tire ainsi ce scénario un peu triste et chétif vers le haut. Le plaisir viendra donc de ce personnage et de sa soeur, sinon hautes en couleur, très humaines, perdues dans leurs vies et un San Francisco esquissé par ses beaux atours. Mais le côté un peu pessimiste de la morale, et le côté déprimant et sans espoir des personnages ne donnent donc pas forcément l'envie de plus s'y attacher. La note d'intention est sans doute assez juste, cynique, mais son côté abrupt m'a un peu déçu. Et en ce sens, la profondeur de
Match Point, pour citer un autre film un peu noir et équivoque de Allen, tient pour moi bien mieux la route.