L'Inspecteur Harry est certainement le polar urbain le plus emblématique des années 70 avec
French Connection, bien craspec et
bad-ass, qui offre également le rôle le plus classe à Clint Eastwood avec
L'homme sans nom. Et ça déboîte toujours autant ce premier épisode, du vrai bonhomme cet inspecteur Callahan aux méthodes musclées, peu orthodoxes, et en totale contradiction avec l'éthique de son hiérarchie. Ses armes : une superbe pétoire ultra efficace, et des salves verbales acides et piquantes. Contre lui, le Scorpion, un psychopathe qui prend un malin plaisir contre ses victimes (la première séquence qui plante le décor, entièrement silencieuse et le suivant dans la préparation de son assassinat, est un modèle de mise en scène et concentre le style de ce film alternant silences et réactions violentes, bien résumé dans la critique de
Mr Jack), et adore faire courir les flics pour rien. Je ne serais pas très original en citant ce passage, mais bon, c'est ce qui résume le mieux le personnage de Callahan :
Hin hin ! Je sais ce que tu penses : "C'est six fois qu'il a tiré ou c'est cinq seulement ?". Si tu veux savoir, dans tout ce bordel j'ai pas très bien compté non plus. Mais c'est un 44 Magnum, le plus puissant soufflant qu'il y ait au monde, un calibre à vous arracher toute la cervelle. Tu dois te poser qu'une question : "Est-ce que je tente ma chance ?" Vas-y, tu la tentes ou pas ?
Depuis sa sortie en salles, ce film a hérité d'une sale réputation, selon quoi Callahan serait l'incarnation du flic fasciste et raciste, pour qui tous les moyens seraient bons pour arrêter les criminels, et donc qu'en appréciant ce film, on encenserait cette pratique immorale et anti-constitutionnelle. Mais ce serait rater la subtilité de
L'inspecteur Harry : il pointe au contraire là où ça fait mal, ce système judiciaire qui protège les criminels plutôt que les innocents, qu'il conspue au plus profond de lui-même. Un trompe-l'oeil d'ailleurs cette appellation "dirty", car elle désigne non pas le personnage, mais les missions qu'on lui refile, reflétant le caractère ingrat de sa profession qui se confine à des petites tâches au lieu de se donner les moyens de lutter contre la criminalité. Enfin, le film ne serait pas ce qu'il est si le trait n'était pas aussi appuyé, distinguant de peu les flics des crapules. Car il est peut-être le dernier rempart contre le crime, mais Harry partage aussi beaucoup de ses vices : Scorpion jouit du mal qu'il fait à ses victimes, c'est pareil pour Callahan mais contre leurs tortionnaires, et se rincent tous deux l'oeil devant les gonzesses à poil.
Bref, ce film brasse beaucoup de choses que j'aime, avec un personnage entier qui conduit ses principes de justice jusqu'au bout (le lien entre polar urbain et western se fait donc de manière évidente, surtout ceux de Peckinpah), une intrigue simple mais qui va droit à l'essentiel en se concentrant sur deux personnalités tour à tour proches et différentes, et la mise en scène d'un environnement urbain qui fait peur à voir. Ce dernier est servi par une ambiance crépusculaire à quoi vient se heurter l'humour noir et la mélancolie confinant au nihilisme de Harry. Et en contre-point d'un constat sans appel contre un système injuste, on nous offre le magnifique portrait d'une âme sombre et torturée, qui fait ce qu'il faut mais sans la motivation attendue de ses supérieurs. Peut-être pas humaniste le Callahan, mais en fait profondément humain avec ses failles bien ancrées (sacré dernier plan lorsqu'il jette son insigne, ouais très incompris ce Harry dont les principes peut-être trop rigides s'accordent très mal avec les codes sophistiqués de cette jungle urbaine).