Nymphomaniac - Volume 2 de Lars von Trier (2014) - 8/10
Nymphomaniac volume 2 continue de nous plonger dans la vie tumultueuse de Joe, jeune femme nymphomane racontant l’histoire de sa vie à l’énigmatique et érudit Seligman. Nous avions quitté la première partie au moment où Joe s’était mise en couple avec Jérôme mais à ce moment précis, elle venait de perdre toute sensation vis-à-vis du plaisir charnel. A la vue de cette deuxième partie, on comprend mieux pourquoi le film tout entier a été coupé en deux, tant les deux parties sont réellement différentes. Le volume 1 parlait surtout de cette envie pulsionnelle donnant naissance à tout un tas de ressentiment adolescent entre culpabilité et besoin de jouissance. Avec ce deuxième volet, Lars Von Trier prend une tangente presque diamétralement opposée, faisant de Nymphomaniac un combat universel pessimiste d’une femme contre la société et de ses normes préconçues sur ce que l’on doit faire ou ne pas faire (à l’image de cette discussion sur la démocratie et l’utilisation des mots comme celui de nègre).
Joe a grandi, elle est devenue adulte, et a donné vie à un jeune garçon, Marcel. Tout une amertume s’installe en elle, entre le désir de sauver son couple, d’être une mère aimante, mais aussi ce choix cornélien d’assouvir tous les pulsions qui sont en elles. Le réalisateur nous pique au vif, garde son humour et son ironie grâce et grinçante engouffrant son film dans une diatribe plus que sordide, faisant ressortir les plus bas instincts de l’homme (« l’homme est né pour tuer »). Charlotte Gainsbourg prend une place de plus en plus importante et le danois prend un malin plaisir à maltraiter son actrice fétiche, complètement conquise à son « cinéaste ». Nymphomaniac volume 2 est beaucoup plus dur, radical, d’une cruauté à la fois grotesque et lyrique, tant dans les thèmes éculés que dans la forme jouant toujours les équilibristes entre provocation racoleuse et fulgurance graphique somptueuse. Joe expérimente, n’arrive pas à se détacher de cette addiction, cherche la jouissance dans la souffrance, dépasse ses limites corporelles et psychologiques, elle vit une bataille personnelle pour essayer de faire disparaître cette envie ou pour la faire revenir. Ça parle de la place du corps et de ce qu’on en fait, de comment on le traite ou le maltraite.
D’ailleurs, Nymphomaniac est comme un film somme de son réalisateur, qui rappelle à de nombreuses reprises ses films précédents. Jérôme ne peut plus combler toutes les envies de sa femme et lui demandera de coucher avec d’autres hommes (Breaking the waves), Joe laissera son enfant seul chez elle alors qu’elle assouvira ses fantasmes sadomasochistes (Antichrist), et petite, elle connaîtra le plaisir de l’orgasme instantané en pleine nature (Melancholia). Comme dans la première partie, il y a ces conversations incessantes entre Joe et Seligman, mettant en scène des digressions symboliques, presque métaphysiques, mathématiques sur cette nymphomanie (Religion orientale et occidentale). Dans cette deuxième partie, il est surtout question de haine de soi, vrillant presque à la misanthropie, sur le mal être, sur les bas instincts de l’humain (à l’image de cette scène effroyable montrant un homme en érection alors qu’on lui raconte un fantasme pédophile ou cette scène de triolisme avec des hommes noirs au pénis protubérants).
L’ambiance est tout sauf érotique, elle est névrotique, au plus près du corps, au plus près du mal avec ses distorsions de l’enveloppe corporelle notamment lors de ces longues séances de sadomasochistes avec le froid Jamie Bell. Mais comme souvent, Lars Von Trier mélange laideur et beauté avec talent, à l’image du magnifique chapitre sur P. Dans la première partie, on avait eu droit à la révélation Stacy Martin (aussi présente dans le volume 2), là c’est la jeune Mia Goth qui hypnotise et devient même le symbole de tout ce que voulait être ou voulait avoir Joe. P va lui succéder dans son affaire d’extorsion de fonds mené par L. Elle est la fille qu’elle voulait avoir, elle est l’amante lui faisant connaitre ce sentiment de jalousie, elle est même son alter ego (scène de dépucelage quasiment identique). Transgressif, maladif, sombrant dans une quête existentialiste morbide et pointant du doigt une des névroses symboles de notre société, Nymphomaniac volume 1 et 2, est un brûlot féministe sous acide, est une œuvre sexuée qui ne donne pas de réponse mais ne cesse de confronter les idées et de poser des questions sur l'existence de nos fantasmes les plus inconscients et les plus triviaux, se finissant avec un plan en voix off jouissif où la femme garde sa liberté et la maîtrise de son corps.