Je craignais en insérant cette galette dans mon lecteur BR de m'attirer les foudres du fan-club de l'un des duos les plus atypiques de la faune hollywoodienne, mais c'était sans compter leur incroyable virtuosité formelle qui parvient à transcender un matériau de base pourtant destiné à un public très large, voire enfantin. Or, si effectivement on se retrouve avec une tonalité résolument plus légère que celle de
Matrix, j'ai adoré cette esthétique kitsch (parfois) et (surtout) colorée qui semble germer tout droit de l'imaginaire du héros, un jeune garnement dissipé, un cancre à l'école, et qui ne jure que par les courses de bagnoles, et par son grand frère, pilote talentueux du GP de stock-cars futuristes. Si entre les mains d'autres réalisateurs, ce projet aurait pu être imbuvable et ridicule au possible, cette bizarrerie trans-genre transpire tant l'amour qu'ils vouent à un cinéma continuellement créatif, que la pilule est passée toute seule. Avec eux, rien n'est impossible en termes de mélange des genres et des influences, où les poursuites automobiles ressemblent au jeu-vidéo
F-Zéro avec une chorégraphie à la
Matrix et des gadgets qui vont réjouir les plus geeks d'entre-nous, et où les séquences et looks des personnages évoquent des vignettes de manga japonais (bon, ok il y a un singe, mais ça passe assez bien bizarrement, et semble même être, avec le sale gosse qui l'accompagne, un pied de nez au public bébête auquel il se destine d'abord). Et il n'y a pas que l'esthétique générale, les plans fourmillent aussi d'idées de placement de caméra ou de mise en scène, comme le moment où l'on passe d'un pilote à l'autre sans faire de coupes visibles durant une course.

Cependant, le caractère fascinant de cet OVNI filmique ne repose pas uniquement sur sa forme, qui par elle seule incarne un certain idéal du cinéma futuriste, mais aussi sur ses intentions que seuls les "grands" pourront déceler à fond, à savoir que les frangins livrent, via ces affrontements dantesques sur le bitume pixelisé, leur façon de voir Hollywood, véritable machine à fric où seul le résultat compte. Et ils ne se contentent pas d'un constat, mais se positionnent via le point de vue de Speed qui adhère à une passion avant tout, le pilotage, qui ne dépend pas des conditions matérielles, à l'image des réalisateurs se laissant aller à leur imaginaire et à la manière de le concrétiser. Ainsi, si le succès arrive, la sincérité va primer, avec donc un plaisir décuplé. Une mise en abîme belle et astucieuse, qui n'alourdit jamais le scénario, car faisant partie intégrante de la lutte d'intérêts entre sponsors (qui dénaturent la course en encourageant la triche et la concurrence déloyale) et compagnies automobiles, fil rouge du film. Formellement, cette idée que l'on décèle en arrière-plan est supportée par une mise en scène et une esthétique toujours (ré)créatives. Si la trilogie
Matrix avait déjà explosé certaines limites de ce que le cinéma était capable de faire visuellement,
Speed Racer repousse ces limites encore plus loin, au risque d'en laisser certains derrière par une telle exubérance, mais sans oublier l'émotion, du moins dans son dernier quart d'heure palpitant où l'adolescent trouve sa voie en faisant le lien entre tous les membres de sa famille (même si on peut deviner le dénouement à des kilomètres).
Avec ce film, loin de vendre leur âme, tant dans le fond que dans la forme, les deux frangins nous livrent donc une oeuvre difficilement définissable, qui porte avant tout leur style, leurs intentions et fantasmes visuels portés à l'écran avec un plaisir partagé. Bref, voici un Blockbuster de SF, familial, divertissant, intelligent, doté d'une patte inimitable, et porté par un gros casting qui s'adapte bien à leurs délires. A savourer !