Tout comme Peter Jackson avec l'Heroic Fantasy, les frangins Wachowski s'imposent avec
Matrix comme les nouveaux Messie de la SF au cinéma. Alors que j'ai quelques réserves pour les deux suites de la trilogie, ce premier film qui s'apparente pourtant à une simple introduction (même si tout dépendait de son succès commercial), demeure pour moi une référence du genre. Je me rappelle encore ma première séance de ciné, de l'énorme buzz qui la précédait, et surtout du choc cinématographique qui nous a fait passé de l'autre côté de la matrice, alors que rien ne nous y préparait (sauf peut-être les lecteurs de William Gibson). Certes, on pense à
Dark City pour la référence à l'esthétique du film noir, mais
Matrix va encore plus loin dans ses ambitions, en réalisant une véritable petite synthèse de la "geek culture" parfaitement régurgitée avec le cyber punk, le cinéma HK (les scènes d'action à la John Woo ou chorégraphiées par Yuen Woo Ping), et la japanimation. De plus, le sous-texte philosophique, sur la différence entre le rêve et/ou la matrice et la réalité, l'individu et le groupe, le libre-arbitre et le destin, s'avère mesuré et bien écrit, distillant ses informations pour créer le désir d'en savoir toujours plus (même le nom des personnages a un sens caché) permettant en même temps de bâtir une mythologie cohérente, entre deux séquences d'action diaboliquement orchestrées, le tout rythmé par une BO électro qui se marrie très bien avec les diverses atmosphères du film.

Parlons-en justement de ces scènes d'action. Au lieu d'embaucher des acteurs de kung-fu, les deux réalisateurs ont eu la bonne idée d'entraîner de "véritables" acteurs pour donner une âme aux personnages (il était particulièrement important d'avoir une empathie pour Neo, ce hacker qui incarne l'individu "lambda" au fond de nous et aspire à découvrir la vérité platonicienne derrière l'apparence des choses, à s'éveiller). Or, le résultat global est plutôt réussi en dépit de quelques ratés ou de coups qui manquent un peu de souplesse, grâce bien sûr à une mise en scène et une caméra qui mettent toujours en valeur les mouvements réalisés, mais aussi à la personnalité de chacun (Smith, par exemple, qui frappe comme un robot). De plus, loin d'être des bouches-trou, au lieu de certains films de kung-fu ou d'action, elles sont toujours subordonnées à l'intrigue pour montrer en l'occurrence l'évolution spirituelle et mentale de Néo. Mais elles sont aussi de véritables morceaux de bravoure comme l'entraînement de ce dernier, ou surtout son ultime affrontement contre les agents. Maintes fois parodié, le "Bullet time" est ce que l'on retient surtout de l'action du film, mais il serait dommage de s'arrêter là tant ce n'est qu'une facette de leur esthétique, narration (dépasser les limites "physiques" de la réalité virtuelle), et mise en scène, que ce soit en termes de découpage ou d'ambiance (on passe d'ailleurs fluidement d'un genre à l'autre sans qu'on se pose trop la question des influences, tant c'est bien intégré à l'ensemble).

Dommage que les deux suites ne soient pas, à mon avis, à la hauteur de ce premier essai presque parfait. Mais l'attente (efficacement motivée par les dialogues inspirés de ce dernier) était grande, ainsi que la barre à dépasser. Cependant, on n'a pas fait mieux (du moins dans le cinéma "Live") depuis James Cameron et Ridley Scott dans le genre (
Alien,
Blade Runner, et les deux
Terminator), autant d'un point de vue visuel et narratif, ce qui n'est pas peu dire.