Hana-Bi est le film qui m'a fait découvrir le cinéma japonais.C'était il y a 16 ans et ma vision du cinéma était réduite à sa plus simple expression avant ce choc émotionnel. Ma géographie ciné se résumait alors aux Etats-Unis, à la France et un peu à Hong-Kong. On tient ici, et de manière incontestable, le chef d'oeuvre qui a permis à notre chère patrie de découvrir un artiste majeur et surtout très complet. Jean-Pierre Dionnet s'est occupé du reste, grâce à lui. Un cinéaste rugueux, un visage crispé par des tics nerveux (conséquences de son accident de moto) et des films emprunts de mélancolie, de poésie, et sur lesquels planent l'ombre de la mort mais aussi un parfum d'écume provenant de la mer, paradis sur terre représentant une échappatoire aux maux de la vie. A ce stade de sa filmographie, et tout comme Sonatine, Hana-Bi est un film somme. Si vous devez voir deux films du cinéaste, ce sont ceux-là.
Interprétant un flic mutique au bout du rouleau (Nishi), mais aussi un homme brisé par la mort de sa fille et la maladie incurable de sa femme, Kitano ouvre son coeur. Là où de nombreux cinéastes tartineraient leurs pellicules de pathos indigeste, il fait dans l'épure et la sobriété. A quoi bon s'apitoyer lourdement sur la mort et la maladie alors qu'elles font simplement partie de la vie. Cette caractérisation minimaliste de thématiques graves peut être rapprochée de ses talents de peintre. Dans cet art, tout est consensuel, réduit à sa plus simple expression. Un torrent d'émotions peut vous envahir par le biais d'une simple "image". Le cinéma de Kitano est donc à l'avenant, tout est concret, rien n'est fioriture. A l'image de la violence sèche dont ne se départit jamais ses films, un regard ou un sourire en disent plus long qu'un dialogue.
Un pont se crée entre ses deux formes d'expressions (le cinéma et la peinture) via le personnage du flic et ami blessé dans une fusillade. Retraité forcé, il envisage de se mettre à la peinture pour occuper ses journées. Kitano lui achète tout le matériel nécessaire et la destinée tragique de ce dernier s'illustre alors au travers des toiles qui émaillent le film. Elle sont évidemment l'oeuvre du maître et s’intègrent parfaitement à l'ensemble. Elles résument à elles seules le voyage funeste que vont entreprendre Nishi et sa femme. Criblé de dettes contractées auprès de yakuzas, fatigué de faire justice dans une société sans morale, il s'évade avec elle en silence (il y a peu de dialogues, on ne refait pas le bonhomme). Un périple rédempteur au cours duquel ils ne cessent de s'avouer tout l'amour qu'ils se portent. Tout comme dans ses précédents films, l'humour et la flânerie s'invitent à la table du réalisateur, le tout étant sublimé par la magnifique partition de Joe Hisaishi, le complice qui décuple l'impact émotionnel des images qui nous sont offertes.
Dès les premières minutes d'Hana-Bi, l'issue tragique ne fait plus aucun doute et pourtant, même préparé, elle fend le cœur. La marque d'un artiste sûr de sa force, qui n'a besoin d'aucun artifice (notamment technique, toujours la faiblesse de Kitano même si on tient ici l'une de ses réalisations les plus maîtrisées) et qui jette à l'écran toute sa personnalité et son vécu pour captiver son audience, la secouer avec sa violence abrupte, l'émouvoir par sa poésie ou la faire rire avec ses délicieuses ruptures de ton qui lui sont propres. Pas d'euphémisme, Hana-Bi est un chef d'oeuvre.