Prisoners - Denis Villeneuve - 2013
Prisoners aurait pu être un immense thriller et un très grand film (du niveau du Zodiac de David Fincher pour citer la dernière réussite totale du genre). Tous les ingrédients étaient réunis. Une histoire puissante et à même de toucher tout un chacun, des acteurs habités, un réal prometteur (même si je n'ai toujours pas vu son très apprécié Incendies) et une très belle photo signée Roger Deakins. C'était malheureusement sans compter sur un florilège de facilités scénaristiques qui plombe le suspense mais aussi la tension qui émane du film. Çà fait vraiment chier car Denis Villeneuve maîtrise son rythme comme pas deux. A aucun moment on ne ressent les 2h30, qui passent comme une lettre à la poste.
Le sujet du kidnapping d'enfants peut effrayer (surtout que l'ombre de la pédophilie plane forcément par moment). Jamais il n'est traité de manière graveleuse. Le script s'intéresse avant tout à l'acharnement puis à la dérive d'un père complètement abattu mais surtout déterminé à se faire justice lui-même. La question posée est inévitable. Jusqu'où seriez-vous prêts à aller pour la chair de votre chair? Loin, très loin. Tout le monde se rejoint sur la réponse. Mais quand la détermination, la rage et le chagrin forment un cocktail détonnant aux antipodes des principes de vie qui sont ceux du personnage incarné par Hugh Jackman, les frontières de la morale sont abolies. Où est le bien? Où est le mal?
Pour y répondre, le flic droit dans ses bottes interprété par Jake Gyllenhaal mène l'enquête. Un personnage particulièrement intéressant car il ne porte aucun jugement sur ce qu'il découvre. On le sent parfois affecté, mais il n'est pas là pour décider du droit de vie ou de mort des protagonistes impliqués dans les événements. Dans ces conditions, quel dommage que le mystère entourant l'affaire soit gâché par une pluie de raccourcis. Les indices semblent provenir du ciel. Dieu étant très présent dans l'histoire (l'une des familles dont l'enfant a disparu est très pieuse), ils les jettent sous le nez du policier...et le spectateur rompu au genre ne mettra que peu de temps à trouver le/les responsables de ces rapts.
Selon votre capacité à fermer les yeux sur ces défauts, Prisoners reste malgré tout un spectacle de qualité. Pour ma part, pas une once d'ennui malgré un suspense éventé. Et j'ai vraiment été séduit par les interprétations de Jackman et Gyllenhaal. Le premier a peut être le rôle le plus séduisant en apparence, car le plus démonstratif. Mais c'est sans compter sur l'interprétation tout en retenue et justesse du jeune flic joué par le second. Il fait son boulot avec passion, sans haine ni jugement, ce qui ne l'empêche pas d'être secoué par ce qu'il voit. Deux personnages très forts, à même de séduire de nombreux profils de spectateurs. Un dernier bémol concernant l'épilogue, qui manque un peu de nuance à mon goût. Tout n'est pas complètement rose, mais l'impact lié à la noirceur ambiante est sacrément atténué par les deux dernières minutes de bobine... Des acteurs au top, des images et une ambiance chiadées, un rythme parfaitement géré, Prisoners manque le coche de peu mais reste indéniablement l'un des thrillers récents les plus enthousiasmants car il a autre chose à proposer au delà de son suspense quelque peu traité à la légère.
7.5/10