L'espace est infini mais le temps leur est compté. Trois astronautes en mission spatiale voient une vague de débris satellitaires foncer sur leur navette spatiale. A la suite de cette collision, ce n'est pas qu'un simple combat contre le vide, ni contre le néant abyssal mais une véritable lutte contre la mort qui va commencer. Gravity, est un objet visuel impressionnant de maîtrise et de détails picturaux symbolisés par ces différents plans nous rappelant la distance qui nous sépare de la planète Terre, distance à ce « personnage » qui matérialise la destinée : images spectrales qui font frémir tant le vide n'a jamais été aussi asphyxiant. On nage en plein espace, à l’intérieur même des satellites qui ne sont qu'un dédale de couloirs reflétant l'esprit labyrinthique d'un astronaute. Gravity est donc visuellement harassant de virtuosité et laisse bouche bée le spectateur que nous sommes. Les scènes de destruction de satellite sont tout bonnement incroyables de tension. La réelle qualité de la réalisation de Cuaron n'est pas simplement le fait d’être sublime. Elle est avant tout immersive et c'est ce qui fait que Gravity n'est pas qu'un film mais en devient une véritable expérience visuelle et sensorielle. Avec son ardente impression de claustrophobie, cette accumulation de plans séquences permet aux spectateurs de ressentir de pleins fouets cette perdition, cette apesanteur qui guide les mouvements de la caméra avec une fluidité qui frise le travail d'horlogerie comme si la mise en scène effaçait la notion même de caméra, comme si nous étions à des kilomètres de la Terre et que nous suffoquions dans notre scaphandre.
Par connivences, s’exprime cette sensation de vertige et de la perte de repère. Les notions d’aller en haut ou en bas, à gauche ou à droite ne s’appliquent pas. Dans cette quête de perfection, émane malheureusement le rapport suspicieux à l'image et à la croyance qu'insère la technologie numérique : le vrai du faux et la faculté à s’extasier devant le numérique. Mais la mise en scène de Cuaron a cette faculté de fasciner mais aussi d'émouvoir. Cuaron a bien compris que le cinéma, c'est l'art de l'empathie, une projection hors de son soi. De ce travail colossal, il y serait illégitime d’y avoir une once d’arrogance. Il y a une réelle dimension artistique et grammaticale pour le sujet, pour le film et pour les émotions qu'il tient à susciter ou à faire suggérer. C’est un film où l'on admire tout du long la mise en scène.
Peu découpée, elle donne à voir un espace sans limites, qui nous environne de toute part, à 360 degrés. Elle assume par les mouvements de caméra, et de multiples plans subjectifs, créer les conditions d'une identification émotionnelle avec le personnage principal. De cette réalisation, s’immisce la narration, où Cuaron réussit à épurer son récit tout en le rendant immersif tant il touche à l'universel avec un symbolisme limpide de survie et de renaissance, et en réveillant des peurs et émotions ancestrales. Comme le souligne Cuaron, dans l'espace il n'y pas de son, mais au cinéma il y a de la musique. Stridente, assourdissante, la musique du film est omniprésente, permettant d'accentuer cette peur dans laquelle s'engouffrent les deux personnages, tout en ayant le défaut ne pas faire s’exprimer le silence. Gravity n'est donc pas juste une démonstration visuelle qui se regarde filmer par le biais d’une auto satisfaction nombriliste mais est un long métrage à grand spectacle qui innove et qui propose un spectacle unique en son genre. Toutes ces éloges plastiques laissent place à un script qui met en avant un film minimaliste sur une femme et sa condition terrestre. Le parcours de notre héroïne rejoint parfois celui de Clive Owen dans Les fils de l'homme. Un personnage résigné qui choisit de s'abandonner puis de devenir en paix avec soi-même. En cela, Cuaron poursuit sa réflexion sur le jusqu'auboutisme de personnages meurtris, qui trouvent une forme de réconciliation intérieure.
On pourra pointer du doigt quelques défaillances dans cette partie "survival" un peu trop linéaire mais l'univers spatial est à l'image de l'existence de Ryan: vide de toute ambition et de point de chute. Ce naufrage spatial sera pour elle comme une renaissance, lui ouvrant les yeux sur sa propre mort et son propre destin terrestre. Il est difficile de ne pas rapprocher l’œuvre de Cuaron de 2001 car ils partagent beaucoup de similitudes : à travers la mise en scène de la vie spatiale, et à propos de ce discours sur la naissance et la peur d'être seul, infiniment seul. Avec Gravity, l'émotion est au service de la réalisation, la mise en scène est au service de la sensation, tout s'imbrique pour ne faire qu'un et pour faire de ce Gravity une oeuvre marquante propulsant le spectateur dans des contrées stellaires qu'on croyait inatteignables.