Jusqu'à présent, Quentin Tarantino s'était surtout imposé par sa capacité à digérer son immense culture pop/cinématographique avec une classe et un plaisir communicatifs, mais c'est clairement la première fois qu'il se dégage de plusieurs de ses
gimmicks, comme sa tendance à faire certaines de ses séquences de purs inserts de son imaginaire référentiel. Voilà donc l'une de ses oeuvres les plus originales, avec une orientation plus mature que jamais (des dialogues moins fun qui servent avant tout l'évolution des personnages, moins de séquences tape à l'oeil), et pourtant profondément empreinte de son univers personnel avec de nombreux clins d'oeil aux oeuvres précédentes. Et donc quel rapport avec
Django ? Pas grand chose, sinon un bel hommage au western spaghetti qui a posé les bases du genre (les rares séquences qui persistent n'ont plus rien en commun, et bénéficient du regard amusé du réalisateur).
Tarantino s'est donc appliqué à renouveler son répertoire. Comment ? En racontant une histoire au déroulement plus classique et linéaire, d'amitié et de vengeance, dotée néanmoins d'un arrière-plan anti-raciste plutôt original et subtil quant à son traitement, j'y reviendrai. Puis en posant sa caméra, avec des plans dignes des westerns de la belle époque, capturant ces superbes paysages enneigés, de poussière, ou de plantations de coton. Mais si en surface, il traite le genre qu'il affectionne tant avec grand respect, c'est pour mieux le dynamiter de l'intérieur avec insolence, par ses salves verbales tarantinesques (qui ne se perdent pas en méta-références comme à son habitude mais font avancer l'intrigue) qui attirent l'oreille, ses règlements de compte qui repeignent aussi sec les murs en sang comme dans
Kill Bill, ou en bousculant nos habitudes auditives en alternant des morceaux aussi variés tels que ceux de Morricone, Rza, ou Carmun carmina, le tout auréolé d'une goûteuse touche d'humour noir (la scène du KKK, grand moment garanti).
Ce film multiplie ainsi délicieusement les expériences auditives et visuelles, sans pour autant oublier l'intrigue et l'évolution des personnages qui traduisent l'amour du réalisateur par le soin du détail qu'il leur apporte, avec un goût sur-consommé pour la mise en scène. A ce titre, le thème sous-jacent du racisme est traité de façon subtile, où tout est affaire de regard des esclaves sur la figure grandissante du Django déchainé qui manie le six coups comme un blanc (c'est quand même couillu d'en faire ainsi le porte-étendard de la cause noire). Le manichéisme est d'ailleurs évité en faisant du serviteur noir le véritable méchant de l'histoire, qui veut tirer avantage de sa double condition. Ce qui donne du poids à Django qui symbolise au contraire l'affranchissement progressif de tous ses modèles/maîtres blancs. Ainsi, la critique de Spike Lee qualifiant ce film de raciste me semble bien hors propos (et l'utilisation à outrance du mot
niggar semble bien au contraire respectueuse de la volonté de coller à la dure réalité des faits). Mais bon de toutes façons, loin de respecter l'histoire à la lettre (comme
Inglorious Basterds), ce film est surtout à prendre comme un jouissif essai de son auteur passionné qui traduit toutes ses envies hybrides sur la pellicule, en démontant ainsi un genre très codifié à la base, pour notre plus grand plaisir.
Enfin, ce film ne serait pas ce qu'il est sans son casting bien fourni et sans fausse note, à part peut-être Tarantino qui s'autorise une apparition franchement dispensable. Ainsi, Jamie Fox fait bien son taf en campant un Django fougueux, et se découvre un talent pour la gâchette et la pose théâtrale, pour finalement dépasser le maître. Mais c'est surtout Christoph Waltz qui remporte la palme dans la peau de ce chasseur de primes dont la survie repose davantage sur la maîtrise du verbe que celle des flingues, mais n'en demeure pas moins, dans une certaine mesure, une belle ordure (il faut juste se rappeler la façon dont il pousse Django à tuer le mec devant son gamin). Leonardo Di Caprio s'en donne aussi à coeur joie en jouant cet esclavagiste diabolique tout autant doué que son adversaire pour conduire la conversation là où il veut. Pour terminer, Samuel L. Jackson est très bon dans ce rôle de l'esclave roublard à la botte (apparemment) de son maître.
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Par contre j'ai quelques réserves sur le rythme. Si la première partie offrait un dynamique road-movie entre maître et élève sur fond de chasse à l'homme, la seconde se traîne un peu en longueurs. C'est peut-être le prix à payer pour épaissir les personnages, avec Doc qui s'humanise après un surplus de violence, et Django qui se professionnalise en même temps qu'il se libère de sa condition pour devenir un homme, et enfin une légende aux yeux de tous, peu importe leur bord. J'aime bien l'ambition de se la jouer sobre, en huis-clos, avec des joutes verbales comme seul arsenal (comme sait si bien le faire Tarantino), où tout se joue au mot près, mais j'ai noté une légère baisse de régime et d'intérêt (jusqu'à ce que ça dérape de façon plutôt inattendue et explosive ...), bien que tout semble justifié en termes d'écriture (j'avais un soucis avec l'épilogue, mais ça colle parfaitement avec l'évolution de Django qui applique l'apprentissage hérité de son collègue). En conclusion, avec
Jackie Brown et les deux
Kill Bill, ça doit être mon Tarantino préféré, bien que je n'y ai peut-être pas retrouvé la même émotion que ces deux derniers, ce qui n'enlève rien au charisme de Django (il manque une petite scène avec son passé ou sa femme, même si le récit mythologique, vraiment classe, qui tourne autour de l'origine du nom de cette dernière permet de mieux comprendre le culte qu'il lui voue).