⌲ HEAT (1995)de Michael Mann avec Al Pacino, Robert De Niro, Val Kilmer.
Histoire: La bande de Neil McCauley à laquelle est venu se greffer Waingro, une nouvelle recrue, attaque un fourgon blindé pour s'emparer d'une somme importante en obligations. Cependant, ce dernier tue froidement l'un des convoyeurs et Chris Shiherlis se retrouve obligé de "terminer le travail". Neil tente d'éliminer Waingro, mais celui-ci parvient à s'échapper. Parallèlement, le lieutenant Vincent Hanna mène l'enquête...
« All I am, is what I'm going after. »
CETTE CRITIQUE CONTIENT DE NOMBREUX SPOILERS.Deux heures cinquante de bonheur, la perfection incarnée.
Je vais commencer dans l'ordre tellement il y a à dire sur ce film dantesque, magnifique dans son fond comme dans sa forme, et donc par la première scène d'action, la scène du braquage. Efficace par la mise en scène brutale, par le montage sec et nerveux, très rapide, et qui rappelle furieusement celle du Dark Knight de Christopher Nolan et qui est elle aussi passée dans le livre des scènes cultes. En voyant cette scène de 1995 je comprends mieux à présent les sceptiques de Nolan puisque ce dernier semble s’être très fortement inspiré de Mann quand à la manière de filmer l'action. Quand on voit ça c'est un peu comme si on écoutait "Feeling good" de Michael Bublé et qu'on passait à la version de Nina Simone.
Je vais continuer dans la mise en scène de Mann que j'ai toujours trouvé langoureuse, dans ses déplacements latéraux et sa manière de glisser sur le côté, de l'arrière vers l'avant etc. Mais je ne connaissais pas (encore) sa capacité à se montrer implacable, puissante et dans Heat c'est un sentiment de maîtrise total qui émane de cette mise en scène. Je pense qu'avant tout c'est la multiplication des points de vue qui symbolise sa plus grande force. Il y a des yeux partout et on a l'impression de tout voir, partout quand il faut. Nous avons nous spectateurs le contrôle de tout ce qui se passe grâce à cette caméra qui s’immisce dans toutes les peaux, qui est partout, tout simplement. C'est une maîtrise totale mais une maîtrise généreuse qui ne garderait pas sa force pour elle mais qui sait la partager avec nous, pour nous faire vivre avec tous ces personnages, tout ce qui se passe, en même temps qu'eux. Tout parait millimétré. Tout semble se jouer sur des tout petits détails, ce qui rend les scènes de tension totalement immersives et prenantes.
Ce qui se dégage ensuite du film c'est une volonté de mettre tout le monde au même niveau. Cette envie humaine d'imposer cette égalité entre tous ces personnages. Ça commence d'abord par la distribution des qualités, données à tout le monde. Par exemple tout le monde semble intelligent, personne n'a l'air inférieur à l'autre. Il n'y a pas de jugement dans le regard de Mann et il ne montre jamais que l'un a le dessus sur l'autre. Tout se passe entre les lignes et c'est d'une subtilité immense. Du mastermind au plus dégueulasse des malfrats, ils sont tous malins, ils contrôlent tous leur sujet à fond. Il n'y a pas de vrais bons et de vrais méchants. Ils sont tous sur la même ligne. Mais ce constat ne vient pas comme ça, en claquant des doigts. C'est montré au fur et à mesure et c'est un des nombreux travaux que lancent Mann au début du film. Et il va utiliser chaque pion majeur de chaque camp pour prouver son idée. C'est à dire Pacino d'un côté et De Niro de l'autre. Il montre d'abord que tout le monde a ses ennuis à la maison, le gangster comme le flic dévoué. On nous montre des doubles rencards, des réunions sympas des deux côtés, comme s'il n'y avait pas de vraie différence entre un côté et l'autre. Mais très vite on va délaisser ce schéma général pour se concentrer sur De Niro et Pacino.
Parce que déjà l'idée géniale du film c'est de mettre face à face ces deux acteurs. Si on a déjà vu le Parrain, on connait l'importance que prend cette confrontation plus qu'une autre tellement ça nous ramène à d'autres choses passionnantes. Mais l'idée n'est pas concrétisée juste pour le fun, comme ça, pour le marketing, non, ça va au dessus du simple symbole. Ce sont deux chef d'orchestre qui se font face, deux maîtres absolus dans leur discipline et ils vont porter chacun tout au long du film une certaine idée de l'humanité. Sans manichéisme ni raccourcis. Et ça on le doit d'abord au talent fou de ces deux géants qui donnent tout pour leur rôle.
On comprend vite que cette confrontation c'est un duel entre deux lions, deux prédateurs. Quand vient le premier échange entre les deux durant cette scène mythique du café, on y voit d'abord un bras de fer, un concours de force. C'est à celui qui sortira mieux les crocs, qui rugira le plus fort, qui mettra le plus l'autre en difficulté, le fera sentir en danger. Montrer à l'autre qui a la main, montrer aussi celui qui aura le coup d'avance nécessaire pour faire tomber l'autre. Et ce qui sort de cet échange n'a rien de surprenant: égalité parfaite. On se rend compte que les deux sont symétriques, semblent sur la même ligne de départ et c'est celui qui fera le plus preuve de ruse qui gagnera. Et puis De Niro lâche cette phrase qu'il a déjà prononcée vers le début du film, qui marque un premier tournant et qui pose les bases de ce qui va suivre.
« Don't let yourself get attached to anything you are not willing to walk out on in 30 seconds flat if you feel the heat around the corner »
C'est le terme "Heat" qui commence à prendre tout son sens. Titre du film, bien évidemment, mais qu'on peut d'abord traduire par "pression" et qui renvoie au courage ou au sang froid qu'il faudra avoir quand le moment le demandera. Et au fur et à mesure du film, "Heat" se traduira par "flamme". Celle au sens propre qui signifie le danger, ce qui vous brûle et qui vous fait mal ; mais aussi au sens figuré celle qui signifie la passion, ce qui vous fait avancer, ce qui vous nourrit dans la vie. Et c'est autour de ça que tourne le film, l'instinct naturel. Pacino est un homme marié au début, on apprend qu'il a déjà divorcé deux fois et a du mal car il donne toute sa vie pour sa mission première qui est d'attraper/de tuer des prédateurs. De Niro lui est un homme "seul mais pas solitaire" qui n'a pas d'attache, et qui, pas de pot, va tomber amoureux. Comme tout le monde il va vouloir goûter au bonheur mais ce qui l'anime, sa passion, c'est de faire des casses, et de tuer ses proies. Ce qui anime un homme l'affaiblit mais il a quand même la nécessité de le faire car c'est plus fort que lui. Plusieurs fois dans le film Pacino comme De Niro sont confrontés à cette flamme. Pacino insiste quitte à divorcer une nouvelle fois. Et De Niro lui, persiste malgré les risques qu'on lui annonce à chaque fois. On lui dit que c'est trop chaud...pas grave, ça vaut le risque. Que Pacino est trop coriace...pas grave, le jeu en vaut la chandelle. Et on se retrouve, au sein de cette scène cultissime de l'ultime braquage de banque, avec l'image de De Niro introduite dans la réalité, avec Pacino au coin de la rue, la flamme prête à le brûler vivant.
Cette scène est l'illustration parfaite de la puissance que dégage le film. On est au coeur du film et au coeur des enjeux du récit. C'est LE moment et que dire de plus à part bravo ? merci ? La fameuse image dont je parlais, on est en plein dedans et ça raisonne encore plus fort, que ce soit pour tous les persos ou pour nous spectateurs. On vit un moment authentique, primordial. La scène est en plein jour, il y a du monde autour et en une seconde ça bascule dans l'horreur et le désordre le plus total. Le bruit assommant des fusils d'assauts prend le dessus sur tout le reste. On est passé aux choses sérieuses. On entend plus que le bruit des flingues, du verre qui se casse. C'est clair, net, précis, implacable. D'un face à face entre deux prédateurs on passe à une chasse à l'homme en pleine nature. Encore une fois on est ici et là, derrière tout le monde et partout à la fois, et ça rend le tout encore plus puissant. Les frappes sont chirurgicales et les avancées bien réfléchies, millimétrées, comme une armée surentraînée. La scène dure une dizaine de minutes et à la fin on a la confirmation que Pacino est fort, il démontre sa puissance en fixant droit dans les yeux la proie et en hésitant pas une seule seconde. Encore de la force qui se dégage et accentue encore plus le rendu. Pour dire qu'on arrive à saturation niveau puissance.
Après ça on a plus qu'à attendre le retour de flamme. Il ne faut pas bien longtemps pour que le film bascule de nouveau. Et c'est Pacino qui montre d'abord sa vraie nature. Avant la tentative de suicide de sa belle fille, il annonce qu'il peut sentir que De Niro est encore en ville. Le drame qu'il vit réveille ses instincts, lui qui était sur le point de jeter l'éponge. Il repart pour une dernière foulée retrouver De Niro qui pendant ce temps là a une ultime chance de retrouver sa liberté. Il est loin de la flamme, il n'y a plus aucune crainte de se brûler mais il y va une nouvelle fois, comme si son salut venait justement de cette flamme, il ne pourrait être abouti en tant qu'homme qu'en y plongeant les deux mains. Très vite il va se rendre compte de sa faiblesse quand il comprendra qu'il est voué à la solitude car ses instincts le forcent à vivre seul, malgré son envie d'évoluer en tant qu'homme comme tous les autres. Pacino lui, ne peut pas vivre sans ses instincts, il est déjà conscient de sa nature et c'est en ça qu'il est plus fort que De Niro. C'est lui qui est en réalité en haut de la chaîne alimentaire car il se nourrit de prédateurs. Et la scène de fin c'est ça, un prédateur face à un autre, on est dans les herbes, c'est la savane. L'un est plus puissant et clairvoyant que l'autre qui est déconcentré par son besoin de liberté qu'il ne peut pas atteindre. Ça se finit sur un détail, une question de sens. Pacino sent sa présence et sa vue est plus concentrée, c'est un mouvement qui fait la différence. Si on va plus loin et qu'on prend en compte le lieu dans lequel ils se trouvent et l'objet qui crée la différence, on peut dire que l'avion, symbole de la modernité et de la liberté déconcentre l'un et rassure l'autre. C'est le prédateur le plus en symbiose avec son élément qui gagne, logique. Le fait qu'ils se prennent la main à la fin, qu'ils ne fassent qu'un comme s'ils se complétaient prouve l'immense humanité et la beauté de ce film.
Et je n'ai pas parlé des autres choses que Mann tente d'immiscer dans cette histoire, comme la relation entre l'homme et la femme. Il essaie de parler de la relation entre celui qui chasse et celle qui est censée contrôler ces instincts. Il tente de prouver quelque chose de fort en posant des questions du style: est-ce que la solitude n'est-elle pas la meilleure solution ? Ou l'homme a-t-il besoin de ce pendant pour trouver l'équilibre parfait qui le rendra plus fort ?
Je n'ai pas parlé non plus de la musique. Magnifique partition de Elliot Goldenthal qui commence par petites touches et qui durant les scènes clés accompagne les personnages dans leurs peurs, leur douleur et leurs sentiments. Sensorielle, quoi.
Franchement je m'attendais à un grand film, au moins de genre, mais pas à un film aussi puissant, doté d'une maîtrise parfaite, aussi sur de sa force et qui réussit absolument tout ce qu'il entreprend avec une finesse et un panache remarquables. Même Le Parrain, tiens, ne dégage pas autant de choses à la perfection.
Bref je peux dire sans la moindre retenue que Heat, c'est la quintessence du cinéma.
10/10