Très bon film noir dont la réputation est justifiée, à l'écriture carrée, et surtout porté par la photo de John Alton qui livre ici l'un de ses meilleurs boulots, avec des contrastes parfois hallucinants, sublimant les atmosphères nocturnes, et parsemant les visages d'ombres pour souligner leur noirceur (tandis que les femmes sont souvent illuminées d'une aura laiteuse). L'histoire en elle-même repose sur des archétypes : le détective honnête et obstiné à faire plonger le boss de l'organisation criminelle, quoiqu'il lui en coûte (financièrement et humainement), ce dernier qui n'a peur de personne et n'hésite pas à éliminer ceux qui le gênent, et enfin la blonde qui se retrouve fatalement avec le mauvais garçon, belle et mélancolique à la fois, et désire le quitter sans le pouvoir, succombant à sa puissance érotique... Or, ce qui distingue essentiellement un bon et un mauvais film noir, c'est l'écriture de ses personnages, ce qui tombe bien car c'est le cas ici, avec surtout une introduction efficace qui permet d'identifier immédiatement leur caractère bien trempé (j'ai particulièrement aimé le face-à-face psychologique avec le boxeur qui illustre à merveille l'esprit calme et haineux du gangster).
Néanmoins, j'ai eu un peu de mal avec le rythme lancinant du film, ce qui n'est pas un défaut en soi (j'aime beaucoup d'ailleurs la musique jazzy, diablement entêtante), mais j'ai seulement été surpris par la tournure de l'histoire qui se focalise sur l'ambiance, mortifère et vaporeuse à souhait avec un espace conquis par le clair/obscur, au détriment d'une enquête, il est vrai, classique et pas toujours passionnante. Ce qui m'a aussi gêné, c'est le phrasé un poil trop théâtral des acteurs qui sonnait parfois un peu faux. Heureusement que cette mauvaise impression est rapidement contrebalancée par une réalisation vraiment classe, et un ton cru, violent et sulfureux à la fois (flirtant avec la censure de l'époque), et des dialogues percutants qui rendent honneur aux personnages, avec des gangsters bien typés. L'intrigue est simple à suivre, basée sur le fait de trouver des indices qui pourraient faire plonger le big boss, donnant lieu à des règlements de compte & Cie. Les jeux de pouvoir qui ont lieu sont superbement exprimés par la manière dont les plans sont composés, le boss des gangsters figurant souvent à l'avant, imbu de puissance avec la cigarette au bec. Et il y a des idées visuelles toutes les 2 min, sublimées par les fameuses sources lumineuses uniques de John Alton, comme la scène de torture avec l'oreillette (qui inspirera Tarantino pour son premier film), et celle du meurtre silencieux.
Bref, pas grand chose à redire de ce film bien ficelé (mais au fond assez
light) et d'une beauté formelle rarement égalée dans le genre, sinon que je préfère
Les forbans de la nuit, toujours mon film noir préféré jusqu'à date grâce à son personnage principal attachant, tandis que
The Big Combo est un modèle de froideur (ici une qualité dans la mesure où le clair/obscur est presque un personnage à part entière, jusqu'à l'ouverture lumineuse finale, mais du coup je n'ai pas accroché plus que ça au destin des protagonistes). J'ai donc peut-être été légèrement déçu par un film considéré comme l'un des plus grands dans sa catégorie, mais que je reverrai certainement avec plus de plaisir maintenant que je sais à quoi m'attendre (et je pense aussi avoir plus d'affinités avec le film noir flirtant avec le drame humain, plutôt qu'avec les enquêtes policières, bien qu'ici on retrouve un peu des deux).