Premier épisode d'une saga ambitieuse à la manière de la trilogie du
Parrain, ce film n'est qu'une montée en puissance incandescente des rapports de force en jeu entre deux clans
yakuza ennemis se disputant l'hégémonie d'un territoire, qui donne juste envie de voir la suite (inédite en France). Je pose ici mon petit bémol : il n'est pas toujours facile de suivre une intrigue qui enchaîne personnages-clés et rebondissements avec la rapidité d'une sulfateuse. Mais cela ne m'a pas trop empêché d'apprécié les nombreuses qualités de cette oeuvre majeure du genre.
Ce film est d'abord doté d'un soucis du détail à la fois graphique et figuré, dans sa manière de percevoir la fulgurante évolution des
yakuza. A cette fin, la voix off et les plans empruntés au documentaire apportent un certain crédit à cette histoire qui se base sur des faits réels, dont le style réaliste est en même temps animé d'une énergie folle, qui rend compte du chaos sévissant au Japon après sa défaite contre les Américains. Dans ce contexte, terminée l'image idéalisée et romantique du
yakuza, et place à la loi du plus fort où l'argent et le pouvoir régissent les rapports humains. Mais ici et là, l'honneur a encore sa place, surtout en façade d'ailleurs, instrumentalisée par les plus malins, soit-disant au nom du groupe, mais nourrissant en réalité les intérêts personnels. La réalité clanique n'est donc plus qu'une mascarade avec des cérémonies rapidement expédiées, et Fukasaku s'en donne à coeur joie à travers un ton sombre et tragicomique à la fois (dixit la célèbre séquence du coupage de doigt, ici tournée en ridicule).
Pour figurer cette croisée des chemins de cette réalité criminelle, se distingue de cette histoire parfois alambiquée et confuse, la destinée de deux prisonniers devenus frères de sang par la force des choses, et qui vont incarner deux visages opposés du milieu. L'un représente son pendant romantique respectant l'honneur et le clan au détriment de sa vie (et encore ça dépend : il en a une image biaisée puisqu'il en connaît à peine les règles), tandis que l'autre reflète son visage pragmatique. Or, c'est nul autre que Bunta Sugawara qui interprète le premier de ces personnages, dont
Okita le pourfendeur bénéficiait déjà de sa présence magnétique et de ses allures de chien fou qu'il vaut mieux ne pas blesser au risque d'attirer ses foudres. S'ensuivent alors des conflits inter-claniques, où tous les coups sont permis, comprenant des alliances avec la politique ou la police. Le chef du clan auquel ils appartiennent incarne également une belle ordure pleurnicharde qui cache bien son jeu derrière ses manières, et achève de profiter d'un Japon affaibli par la guerre.
Cependant, en dépit d'un traitement sans concession qui force le respect, et d'une réalisation soignée avec des plans parfois très inspirés et une bande musicale pop-jazz de qualité (je n'ai jamais été déçu sur ce point avec Fukasaku), je n'ai pas été complètement convaincu par l'histoire qui ne prend pas le temps de développer tous les enjeux, et va trop vite en besogne, hachurée par un important
bodycount final, bien que cela reflète également le climat de violence à l'oeuvre qui interdit de s'accrocher véritablement à un personnage en particulier. Je comprends son statut de "classique", mais je suis quand même un peu déçu de ce film dont j'attendais peut-être trop.