C'est avec un gros
spleen qu'on pénètre dans cette tristounette vie d'acteur, très éloignée de l'effet papier-glacé des magazines
people. Ce que je remarque à ce propos, c'est la cohérence de la filmographie de Sofia Coppola. Après avoir atteint un pic esthétique dans
Marie-Antoinette, elle pourrait se complaire dans un univers du vide qui est à la fois source de fascination par son attrait plastique, et de désillusions. Or,
Somewhere représente en ce sens un tournant, certainement le plus sobre de ses films. Dès l'introduction (qui annonce souvent ses intentions), elle figure déjà, à l'aide d'une caméra plus que jamais posée, de plans longs et fixes, et d'une musique quasi absente, la vacuité d'une existence que l'acteur tente de remplir par des jeux récréatifs qui lui font tirer quelques sourires, mais sont au fond insignifiants.
Ainsi c'est sûr qu'il ne faut pas s'attendre à beaucoup d'action dans ce film, le but étant d'adopter le point de vue de ce mec blasé qui essaie de remplir son abîme existentiel comme il peut, et que plus rien n'amuse réellement. Brèves rencontres basées sur le sexe (et sa réputation de tombeur), petites fêtes, ou démo de danse dans sa chambre (vraiment comiques tellement elles sont navrantes, bien que les jumelles engagées ne manquent pas d'imagination pour attirer l'attention), presque rien n'éveille cet oeil vide et cette attitude mollassonne. Après le glamour de
Marie Antoinette, le physique impersonnel de Johnny calme par sa banalité, qui pourtant est le centre de toutes les attentions du
show-biz (dont on découvre au passage les coulisses comme les effets-spéciaux, la promo, que des occasions pour montrer qu'il n'est en fait "personne"). En contrepoint de cette vie artificielle qui se déroule sans tracas, de petits
sms viennent nous rappeler à quel point c'est un gros connard égocentrique, qui n'a rien de méchant, mais se contrefiche simplement de ce que ressentent les autres.
Bref, sa petite existence tourne en rond, jusqu'à ce que sa fille, qu'il ne voit presque jamais, occupe davantage son espace depuis que son ex a besoin d'une pause. Or, l'un des intérêts du film, c'est qu'il ne réalise pas tout de suite la chance qu'il a de l'avoir, trop occupé à suivre ses mauvaises habitudes (bien qu'il s'évertue à éviter, chose importante, de ne pas briser le manège enchanté de sa fille en lui évitant de découvrir son monde sulfureux et vicieux). Pétillante, pleine de grâce, rigolote, c'est seulement après une chanson touchante jouée au hasard qu'il se rappelle de sa paternité, et qu'il retrouve un peu d'authenticité. Ils jouent alors à
Guitar Hero, passent des moments ensembles pleine de sensiblerie mais sans jamais tomber dans le pathos. Comme toujours, Sofia Coppola maintient une distance pudique avec ses personnages tout en capturant des brins de vie à la manière de chroniques. En parlant d'eux, le choix du casting est encore très bon (décidément une qualité de la réalisatrice), en tête Stephen Dorff et Elle Fanning (une des plus brillantes actrices de sa génération).
Au final, on peut reprocher au film son manque d'originalité, surtout qu'il ne faut plus compter sur la plastique pour relever le tout (même si Sofia Coppola sait toujours aussi bien filmer ses personnages, et montre qu'elle n'a pas besoin d'artifices pour exprimer leur (dis)grâce et leur solitude). Cependant, pour les fans de Coppola, ce film est intéressant pour les échos qu'il réalise. Par exemple, l'hôtel de l'acteur fait parti de ces prisons dorées dont il s'agit de s'échapper, une escapade qui se concrétise en errances sans but, simplement pour mettre la tête dehors, comme dans
Lost In the Translation. Et il y a aussi des répétitions formelles, comme le plan final sur le soleil couchant (idée qu'on retrouve dans les autres films), qui prend la mesure du trésor perdu en chemin. Sauf que cette fois la fin ouverte semble proposer à son personnage une éclaircie que ce dernier est en train d'arpenter. D'autre part, même en prenant ce film individuellement, on peut être touché par ce mec privilégié mais blasé, qui découvre par le biais de sa fille qu'il n'a rien s'il ne met pas un peu du sien.
Somewhere, c'est peut-être l'idée toute simple d'aller quelque part, de trouver son "site", pour être quelqu'un et s'épanouir ... Le film le plus optimiste de la Miss ?