Un film de Sofia Coppola qui divise forcément. Elle surprend non seulement son public en faisant une échappée historique, et met aussi à dos la manière classique de faire de l'histoire au cinéma. Et pourtant, il s'agit d'un sujet en or pour la réalisatrice qui s'approprie entièrement le personnage de Marie-Antoinette, pour traiter une fois de plus une jeunesse désoeuvrée d'un milieu favorisé, en abolissant les frontières spatio-temporelles, car ses soucis semblent bien être de ceux de notre époque. En effet, avant de faire de l'Histoire, dont elle reprend d'ailleurs les faits très librement pour les adapter à son sujet, elle réalise un portrait d'une adolescence devenue femme par la force des choses. Une première, car si l'intrigue fonctionnait autour d'une famille ou d'un duo (composantes qui n'ont pas disparu pour autant, mais sont en toile de fond), cette fois-ci elle se déroule autour de ce destin d'une future reine, trop jeune et inexpérimentée pour régner aux côtés de son époux qui ne l'est pas moins.
Or, Sofia Coppola reproduit parfaitement le faste et le cadre superficiel de cette vie de palais, complètement coupés du "bas-peuple" (réduit à des rumeurs ou des brouhahas). Après une brillante exposition du douloureux passage à l'âge adulte (un changement de patrie et de famille qui sonne comme la fin d'une belle époque), l'intrigue se réduit à rien : la reine doit enfanter l'héritier de la couronne. Entre-temps, se déroule la morne répétition de l'étiquette qui poursuit les deux époux jusqu'à leur lit conjugal (!). Or, cette image colorée de la vie de palais, assez respectueuse de l'Histoire, permet surtout de reprendre la thématique de la réalisatrice. A l'instar de
Virgin Suicides, celle d'une adolescence désillusionnée par la rigidité des codes de bonne tenue (dont l'excès est tourné en ridicule), frein à son expansion vitale. La façon de respecter ces conventions prennent tant de place qu'elle devient sujets de ragots, au point de remplacer la politique (presque absente du film). Autre réussite, le casting. Kirten Dunst est brillante dans la peau de Marie-Antoinette, qu'on croirait échappée d'un magazine de mode, glamour et juvénile. En contre-point Jason Schwartzman incarne un très bon Louis XVI, distant et un peu gauche. Un couple qui semble à mille lieux de comprendre ce qui se passe en-dehors de leur bulle pas si dorée.
Ce qui m'a légèrement gêné par contre, c'est le rythme du film, dû je pense à sa structure narrative. Car la réalisatrice reproduit finalement la même façon de raconter ses histoires, avec peu de transitions et sans trop de repères (notamment sur l'évolution des personnages), ce qui est peu commun dans le genre historique. Ainsi, une chose que je n'avais pas ressenti dans ses essais précédents, c'est l'ennui qui pointe parfois son nez. Il manque peut-être un peu plus d'enjeux pour relever la sauce, même si je conviens que la redondance des scènes (le lever de la Dauphine auprès de la suite, le repas, la chasse, le choix des vêtements ...) révèle également le
vacuum quotidien, constitué d'individus désincarnés et inintéressants, et surtout qui ne savent pas s'amuser (seul le Roi sénior semble se fendre la poire, mais bon c'est le Roi). Une longue introduction nécessaire pour expliquer ensuite les frasques (qui ressemblent à celles de la
Jet set) de la nouvelle Reine qui précipitent (en complicité avec le Roi qui sous-estime le peuple) le Royaume vers la ruine.
A part ce petit bémol, la mise en scène est une fois de plus brillante. La principale nouveauté et pas des moindres, c'est le fait d'alterner classicisme avec des tableaux fixes de toute beauté à la
Barry Lyndon, et ambiance
pop avec des plans vifs. Un anachronisme formel qui rend l'histoire intemporelle. Ces séquences sont soutenues par des tonalités musicales très variées (
rock'n roll, opéra, et musique classique), reflet du cadre de vie étriqué ou des humeurs virevoltantes de Marie-Antoinette, rebelle dans l'âme, et surtout, à l'écoute de sa fibre artistique juvénile qui n'attend qu'une occasion pour s'exprimer (par la coiffure, la mode, les fêtes, etc.). Certes, tout ne fonctionne pas, mais l'intention est ambitieuse et rafraîchissante, et nous donne les moyens de mieux comprendre cette femme de façon contrastée, irresponsable non par méchanceté mais pour fuir l'ennui et la solitude. Ainsi, loin d'être un modèle, on voit bien où sa propre condition l'amène, avec l'excellente référence à Rousseau sur l'état de nature : toute tentative, même innocente, de se rapprocher de la réalité, est vouée à l'échec. D'ailleurs, sa représentation naïve de la paysannerie qu'elle assimile ironiquement comme paradis, montre bien qu'elle est à côté de la plaque (une image qui peut aussi se comprendre comme nostalgie re-fabriquée d'une jeunesse trop vite condamnée).
Ce film ne laissera pas indifférent, de par son statut hybride. Amoureux de la vérité historique, passez votre chemin, ce n'est pas son propos. Tout ce qui intéresse Sofia Coppola dans Versailles, ce sont ses formes chatoyantes et superficielles, prétexte à dérouler une imagerie de la jeunesse éternelle qui se prête au fantasme et aux désillusions. Et Marie-Antoinette devient sa nouvelle égérie, symbole parfait de cette réalité fantaisiste, lui permettant de mettre en scène son mélange sucré et pop acidulé qui donne un peu le tournis. L'une des grandes réussites du film, c'est donc son esthétique, dépeignant à merveille la vacuité des conventions sociales d'un tel milieu, où tout est une affaire d'apparence et donc de regard, non sans une petite dose d'humour. Une seule réponse au vide : un divertissement qui frise l'insolence. Non moins vain et illusoire, mais peut-être nécessaire pour garder ses sensations et sa santé mentale intactes, du moins jusqu'à ce que le vent de l'histoire apporte une maturité balayant le superflu.