Pain & Gain - Michael Bay - 2013
La comédie est un genre ingrat. Rares sont celles qui peuvent se targuer de supporter à merveille un nombre conséquent de visions. Un nouveau challenger inattendu, Michael Bay, le pape du blockbuster des 20 dernières années (qu'on aime ou pas son style, on ne peut lui retirer ce statut), postule avec son dernier film à l’accession à ce cercle très fermé. Pain & Gain, qui va s’appeler No Pain, No Gain dans nos vertes contrées (changement de titre débile, remarquez on a échappé à un truc du style Pas de bras, pas de chocolat
), est clairement le meilleur film de son auteur. Bay procède à une auto-psychanalyse de ses penchants graveleux (cf le reste de sa filmo), avec cette histoire (vraie) pas drôle sur le papier et qui devient une excellente comédie à l'écran par la force des choses.
Le culte de l'idiotie y est ici érigé en étendard et le rêve américain souillé comme rarement. Une vraie bonne surprise pour moi qui déteste le cinéma de Bay (à part The Rock). J'ai eu un peu de mal à entrer dans le trip au cours de la première demie heure mais cet amoncellement hors normes de bêtise humaine finit par emporter le morceau et livre un véritable concentré de fun pendant deux heures bien remplies et qui passent à une vitesse folle. Ce maelstrom subversif nous conte l'histoire de trois culturistes complètement cons qui fomentent le kidnapping boiteux d'un homme dont ils convoitent les richesses.
Sens du rythme parfait (le talon d’Achille de bon nombre de comédies), direction d'acteurs au top (l'homme qui parviendra à nouveau à obtenir de telles performances de la part de Mark Whalberg et de The Rock n'est pas né), image à la Tony Scott léchée (et délestée des tics de réalisation parfois extrêmes des précédents films de Bay), soundtrack estampillée 90's qui dépote, la liste des réjouissances est conséquente. Résultat, c'est bourré de scènes cultes en puissance. Là où Pain & Gain fait très fort, c'est qu'il garde sa ligne de conduite de la première à la dernière image. Ses personnages s'enfoncent inexorablement minute après minute vers une sordide destinée. L'humour est ici très noir (on pense forcément à Fargo devant tant de naïveté et de bêtise confondues), très frontal (pas de pincettes), et tout le monde en prend pour son grade. Les amateurs de gonflette et leur culte du corps parfait (avec ici toute une parabole qui fait la corrélation entre musculation, patriotisme et rêve américain, faut le voir pour le croire
), les ethnies, les gays, les gros, les religions, les nains, tout passe à la casserole percutante de Bay. Tout ce qui pouvait rendre circonspect et passait autrefois pour de la mysoginie, de l'homophobie ou paraissait tendancieux dans ses opus dits "sérieux" trouve une résonance tout autre dans le cas présent.
Mais ce bulldozer de la comédie matinée d'action ne serait rien sans ses acteurs. S'il y avait un oscar pour récompenser les directeurs de casting, on le filerait sans problème à celui de Pain & Gain. Au vu du sujet et du traitement subversif, qui de mieux que Mark Whalberg, l'ancien mannequin pour moule bite Calvin Klein (et aussi chanteur pour midinettes dans le boys band NKOTB) et que The Rock, ex-star du catch et successeur de Schwarzie pour interpréter ces idéalistes écervelés? Le premier a déjà été très bon malgré son manque d'expression récurrente (chez James Gray notamment et il montrait un étonnant sens de la comédie dans Ted même si le film ne restera pas dans les mémoires) et le second compense souvent le manque d'épaisseur de ses rôles dans les actionners ou ses regards un peu béats par un charisme physique hors normes. L'écriture de leurs personnages et les dialogues qui leurs sont attribués, c'est juste du putain de caviar. Ils s'éclatent et sont complètement transcendés à l'écran. Meilleures perf' de leurs carrières respectives haut la main. Le premier en cerveau (gros comme un pois chiche) de la bande et le second en taulard repenti mais trop souvent cocaïné et qui se pense touché par la main de Dieu. Rarement des personnages auront été aussi sérieusement cons.
On oubliera pas de citer le troisième membre du trio d'idiots, Anthony McKie, forcément un peu en retrait à côté des deux autres, la faute à un personnage de comédie un peu plus conventionnel (le black de service) mais qui ne dénote pas pour autant dans cet univers déjanté. Les seconds rôles, c'est la fête du slip aussi avec un Tony "Monk" Shalhoub on fire dans le rôle de l'escroqué d'origine juive et un Ed Harris impeccable en détective privé, seul perso sain d'esprit au milieu de toutes ses brebis égarées. Mêmes les deux seconds rôles féminins sont à l'avenant de la démesure ambiante. Au final, un seul conseil, si vous vomissez le cinéma de Bay comme moi, ravalez votre rancœur et ne ratez pas ce cocktail détonant qui compile tous les travers du bonhomme mais les met au service d'une histoire qui semble avoir été taillée pour lui. On ne le changera pas, il est toujours aussi bourrin dans son approche, mais s'il mettait plus souvent ses qualités techniques indéniables ( genre le travelling circulaire entre deux pièces d'un appart, ça claque techniquement et c'est au service du récit) dans autre chose que des franchises à la con, ça pourrait le faire. I believe in fitness!
Dumb and Dumber
8.5/10