Résumé :
Une vieille dame est assassinée à Oxford. Son corps est découvert par deux hommes qui se rencontrent à ce moment-là pour la première fois : Arthur Seldom, un grand professeur de mathématique et de logique et Martin, un étudiant qui vient d'arriver dans l'université et qui rêve d'étudier avec ce dernier.
Avec ce film, Alex De La Iglesia essaie de conquérir un public un peu plus large, mais essuie un échec qui me paraît non mérité. Beaucoup de connaisseurs de son oeuvre l'ont vu probablement comme un acte de trahison. Mais où est-il passé, le metteur en scène aux personnages un peu fous, aux scénarios trans-genre (mélange de comédie noire et de film de genre), et à la réalisation de malade, comme s'il était incapable de faire autre chose que d'appliquer ses
gimmicks ? Cette prise de risque devrait être au contraire plébiscitée, surtout quand elle me paraît réussie. Ce qui m'a frappé d'emblée, c'est son scénario malin mais tombant jamais dans la facilité, combinant une brillante réflexion sur la logique et les mathématiques menée avec punch par ses deux interprètes principaux (portant sur Wittgenstein et les pythagoriciens), avec un crime aux motifs confus distillé d'une référence explicite à
Cluedo. Un mélange dépotant à condition qu'on apprécie les joutes verbales à base de maths (ce qui m'a rappelé mes années de philo). En tous cas, malin sera celui qui trouvera le coupable, vu les possibilités offertes.
De plus, cette rafraîchissante parenthèse du cinéaste n'est pas déconnectée de sa filmographie, en dépit des apparences. Si la réalisation paraît plus sage (et c'est vrai) que celle de ses autres films, comment ne pas reconnaître la folie de ses personnages (je l'accorde, plus acceptable) dans la nature même des échanges de ces deux mathématiciens, qui essaient de décrypter l'énigme policière en réfléchissant (avec une pointe d'humour) sur les rapports entre les nombres et la réalité, les crimes et leur motivation ? Sans oublier un sérieux sous-texte existentialiste sur la manière de considérer la vie, en la rationalisant, ou au contraire en prenant le train en marche avec tous les risques que cela comporte. Ce qui renvoie directement à l'essence multiforme et vitaliste de son cinéma qui vise l'ordre établi tout pépère.
Puis, mine de rien, la mystérieuse ville d'Oxford, avec son architecture baroque, est un parfait plateau de jeu pour planter l'ambiance et les pions de cette intrigue bien ciselée. Et si la réalisation est moins exubérante et soutenue que ce à quoi nous a habitué le réalisateur, elle se met intelligemment au service de son intrigue, parsemant ici et là des indices et des trompe-l'oeil (à ce titre, le travelling suivant la croisée des trois suspects est vraiment bien pensé). Au niveau du casting, il n'y a pas de fausse note (peut être à la limite l'étudiant russe vraiment ... russe), avec Elijah Wood qui parvient à faire exister son personnage, John Hurt qui bouffe l'écran à chacune de ses apparitions, agrémenté d'un bonus féminin (Leonor Watling) toujours aussi bien filmé par l'espagnol (ce qui permet de mesurer à quel point le détective apprenti est vraiment fou des nombres, pour la laisser ainsi en plan).