Le livre d'Eli est le genre de film qui je revois avec plaisir en connaissant pourtant le petit twist final, les petits indices nous mettant sur la voie étant bien pensés et mis en scène de façon subtile et intelligente, ce qui nous permet de découvrir l'histoire autrement. Son point fort évident est la réalisation, au service de son ambiance post-apocalyptique à la sauce
Mad Max, avec sa photographie complètement cramée et sa bande sonore qui participent grandement à l'immersion. A ce titre, l'introduction est un petit modèle d'entame, capable de nous faire ressentir, à la manière de
The road, la solitude d'Eli et le danger de son environnement. Le film cite aussi Leone (les sifflotements). Puis certains plans respirent l'amour qu'ont les fréros pour les
comic-books. Dans le même sens, les rares affrontements sont jouissifs, servis par un excellent découpage (le premier contre les cannibales filmé tout en ombres chinoises, le second au bar en mode chambara, et enfin le troisième dans la ferme isolée qui met l'emphase sur les fusillades). Malheureusement il y a un gros point noir : le personnage de Mila Kunis qui semble avoir été rajouté à la dernière minute et à cause duquel le script perd en intérêt malgré tout l'effort fait pour maintenir une ambiance réussie de fin du monde.
Pourtant, le sujet à mi-chemin entre le western post-apocalyptique et le mysticisme entourant la mission d'Eli (de rendre le monde meilleur en amenant le Livre à bon port), me parle vraiment sur le plan de la symbolique (meilleure scène : lorsqu'il est démasqué en utilisant une prière qui contamine son entourage). D'ailleurs on sent le personnage de Denzel Washington impliqué, mystérieux et
badass à la fois, se dévoilant peu à peu par l'image (ses cicatrices et ses gestes en disent long) et la parole (ses contradictions avec les préceptes bien connus de non-violence de la Bible, jamais nommée comme telle, mais plusieurs indices nous mettent la puce à l'oreille). L'aura fantastique autour d'Eli rendant ce dernier sur-puissant, comme muni d'une protection divine, n'est pas trop dérangeante dans la mesure qu'elle est au service du spectacle (un prophète-guerrier c'est quand même la classe) et du script (le rapport entre l'homme et la foi), malgré les questions laissées sans réponses et plus grave, les invraisemblances (exemples : la fuite miraculeuse d'Eli, et son tournant moral qui aurait mérité une évolution plus fine). Quand son adversaire (Gary Oldman), il est bien écrit malgré quelques raccourcis, tout aussi contradictoire qu'Eli (il respecte ce dernier pour sa culture, mais devient son ennemi car il cherche le Livre pour contrôler spirituellement les âmes désespérées et donc assurer son expansion territoriale). Un duel qui devient une belle mise en abîme de la manière dont la religion peut être instrumentalisée.
Mais comme je l'ai dit, passée la fuite du duo Washington/Kunis, peu de surprises au portillon (heureusement l'ambiance et le quota action sont saufs), et l'épilogue traîne la patte un peu inutilement (Denzel passe le relais à Kunis, on ne sait pas trop pourquoi). Au final, il s'agit d'un bon divertissement visuellement superbe, dotée d'une histoire balisée (deux mecs qui veulent le même Livre pour des raisons opposées, l'un pour reconstruire le monde, l'autre pour le maintenir sous la servitude), avec un
background post-apocalyptique simple mais bien fichu (on se cantonne au contraste entre le désert composé de ses
rednecks mal peignés, incultes, voire cannibales, et le dernier îlot civilisé et cultivé), mais qui manque peut-être d'un squelette narratif plus solide pour convaincre complètement.