Énième vision de ce film qui m'avait profondément marqué à sa sortie cinéma en plus de me faire découvrir Florent Emilio Siri. Clairement,
L'Ennemi Intime fait partie de ce genre de films que je revois à la hausse et que je redécouvre à chaque fois que je le regarde, et aujourd'hui le constat est juste définitif : je ne lui trouve tout simplement aucun défaut, et je dirais même que le film représente pour moi un idéal de cinéma, d'autant plus étonnant qu'il provient d'un pays où, justement, on a trop tendance à vouloir éviter le film de genre. L’accueil critique et public a d'ailleurs bien ressenti cette tendance, puisque non seulement la promotion du film était ratée, mais en plus la critique ne pouvait s'empêcher de le conspuer, d'abord pour ce qu'il était (un film sur et contre la guerre), mais en plus de le taxer de film à l'américaine pour les simples raisons que le film est bien réalisé et traite de thèmes universels. Comparé à l'époque, à tord, à
Platoon ou encore
Apocalypse Now,
L'Ennemi Intime est pourtant un film qui n'a absolument rien à voir avec eux, mais est surtout une œuvre qui existe d'elle-même. Les films sur le conflit algérien étant rares, Siri se retrouve donc avec un champ très libre concernant le sujet et livre une bobine à la fois très imprégnée du contexte qu'elle traite, mais qui arrive aussi à prendre du recul pour finalement parler de l'être humain au sein même d'une guerre (car contrairement à ce que pouvaient penser les critiques, l'inspiration principale du métrage ne se trouve pas dans les productions américaines, mais bien dans le cinéma de Pierre Schœndœrffer, et notamment dans son film
La 317ème Section où on y retrouve cette relation entre deux officiers, un vétéran désabusé et un arriviste).
Suivant le parcours d'un jeune officier en plein conflit, et qui va se retrouver confronté à ses supérieurs et aux atrocités commises au point de se perdre lui-même,
L'Ennemi Intime est avant tout une descente aux enfers angoissante et captivante et qui ne perd jamais de vue le rapport entre personnages et spectateur, tout en entretenant un propos pertinent sur la notion ce qui est vraiment un ennemi (la discussion entre les deux vétérans de la campagne d'Italie est troublante à ce niveau là, et le film tout entier est justement construit sur des oppositions, des dualités entre personnages qui ne savent plus s'ils sont en face d'un allié ou d'une menace). Sans chercher à être le film ultime sur la guerre d'Algérie, le métrage de Siri est pourtant ce qui se rapproche le plus de cette qualification, ne cherchant jamais à prendre parti et évitant ainsi le piège de l’œuvre politique. Ainsi, chaque camp commet ses propres atrocités, et beaucoup de protagonistes doutent véritablement de leurs intentions concernant l'issue de cette guerre. Le western a toujours été une influence majeure du cinéma de Siri, et cela se ressent encore énormément sur ce film qui emprunte une iconisation et une esthétique faisant fortement référence au western-spaghetti, et il est peu surprenant de remarquer notamment un gimmick scénaristique emprunté à
Once upon a time in the West, avec ce plan flou au ralenti récurrent qui révélera finalement la vraie nature de cet ennemi intime : soi-même. Pour le reste, c'est actuellement le travail le plus beau et complet de la carrière de Siri, et après quelques années de recul on est même en droit de penser que ce film a été celui de la maturité, qui donnera quelques années plus tard le meilleur biopic français de ces dernières années.
Une fois n'est pas coutume chez Siri, on est avant tout dans du cinéma basé sur l'image, et force est de constater qu'une grande partie du métrage serait totalement compréhensible même si le film était muet, comme le démontre la façon de filmer l'évolution du personnage de Magimel, avec des cadrages de plus en plus rapprochés sur un visage peu à peu dénué d'émotions (on pense à la caméra sur harnais bien sur, mais aussi à cette glaçante séquence d’exécution, quasi muette, et où l'on sait que le personnage sera, à partir de ce moment, irrécupérable). La composition musicale de Alexandre Desplat, à défaut d'être mémorable, accompagne parfaitement les images de Siri. Enfin, la force du film repose en grande partie sur les épaules de son duo d'acteurs. Benoît Magimel, comédien attitré de Siri, trouve tout simplement son plus grand rôle, touchant, effrayant et captivant (là encore, son évolution est totalement crédible). Quand à Dupontel, il démontre encore une fois tout son potentiel en jeu dramatique, dans un rôle pourtant difficile à cerner au premier abord. A mes yeux le plus grand film français de ce début de siècle, en plus d'être le meilleur film de son auteur ainsi que l'un des plus beaux films de guerre qu'il m'ait été donné de voir. Un chef-d’œuvre qui, je l'espère, sera considéré majoritairement comme tel à l'avenir.