Première incursion pour Gosha dans le polar, Le sang du damné fait montre d'une partition particulière. Empruntant autant aux yakuzas eigas qu'aux films noirs américains (souligné par une bande originale très porté sur les sonorités jazz), il se suit comme une ballade à travers la ville, porté par un sentiment de rédemption teinté de pessimisme qui sera le propre de son cinéma. Mais les similitudes ne s'arrêtent pas là, au contraire: le compositeur Masaru Sato et l'acteur principal Tatsuya Nakadai feront des apparitions récurrentes dans ses futures réalisations. Et si Gosha tâtonne encore avec un style visuel original, l'ambiance poisseuse et mélancolique du film repose nettement sur la capacité des deux pré-cités à alimenter cette atmosphère.
S'apparentant à un chemin de croix, le périple d'Oida n'est ni plus ni moins qu'une manière d'expier ses fautes. Tout autant victime de l'accident qui coûtera la vie à un père et sa fille, pour lequel il fera de la prison, son personnage semble dépourvu de tout souffle de vie. Comme désincarné, il avance tel une âme errante à travers des décors urbains d'une noirceur désespérante (égouts, cabaret, club de boxe). Bien qu'ayant le regard vide de celui pour qui la vie ne vaut plus la peine d'être vécue, Nakadai parvient à insuffler une telle humanité à son personnage par des sourires discrets, des gestes tendres et une voix aux sonorités plus ou moins graves suivant son humeur, la petite fille l'accompagnant lui permettant de refaire surface de sa dépression.
Piochant allègrement dans différents niveaux de la classe moyenne, l'intégralité des personnages à ce quelque chose du pêcheur qui survit d'une vie abandonné par la chance et résonnant d'une culpabilité plus ou moins grande. A chaque rencontre qu'Oida fera, ils se feront révélateur de la part d'humanité qui existe encore chez lui, par l'intermédiaire de flashbacks très bien pensés. Leurs histoires, racontées au clair de lune d'un Japon dévasté par les craintes et les doutes de l'époque, résonnent comme autant de tranches de vie semblables à des milliers d'autres Japonais. Sous ses airs de film noir, Le sang du damné couve une mini fable sociale parfaitement maîtrisée dans son écriture et sa corrélation avec l'intrigue.
Troisième film et second genre abordé, Hideo Gosha montre toute l'étendue de son talent en manipulant des codes inventés bien avant lui pour se les réapproprier et les modeler à son aise, révélant un amour immodéré pour ses personnages plutôt que l'intrigue qui, bien qu'efficace, reste simpliste. Malgré quelques effets relevant plus du zèle que de l'inventivité (le générique en négatif, trop illisible pour convaincre), Le sang du damné est une véritable réussite.
7/10