L'armée des 12 singes |
Réalisé par Terry Gilliam |
9/10 |
Résumé :
Or, par le biais de la SF, c'est notre propre futur qui est interrogé, et la vision qu'il nous est offerte n'est pas rose. Tout ce qu'on voit de lui est une société hiérarchisée proche d'une dictature, à la manière de Brazil, qui envoie des candidats sans leur laisser le moindre choix pour élucider les causes de la propagation virale ayant eu lieu auparavant. Mais il n'est jamais clair si ce futur existe vraiment ou n'est que le produit de l'imagination du personnage principal (Bruce Willis, génial dans la peau de ce protagoniste instable et parfois comme un enfant à la vue de ce monde qu'il redécouvre). Tout le début portant sur l'asile de fous multiplie les pistes dans ce sens, tandis que sa psychiatre (Madeleine Stowe, dans l'un de ses meilleurs rôles) incarne le passage entre rationalité et crédulité. Il rencontre aussi un fou pas si fou, Jeffrey Goines (Brad Pitt, dans un rôle bien disjoncté), qui nous met sur une autre voie que la normalité formatée injectée selon lui par la société de consommation.
Ainsi du début à la fin, Terry Gilliam compose avec les regards de chacun de ses personnages, tour à tour détenant des morceaux du puzzle final (James est d'ailleurs envoyé pour cela : collecter des indices tel un détective, malmené par les autorités qui réduisent sa prémonition à un pur cas d'étude), ou manipulés par une telle subjectivité. Qui et quoi croire ? D'autant plus qu'une aura paranoïaque plane toujours au-dessus d'eux, par une musique aux assonances troublantes, un cadre souvent fermé (l'asile, l'aéroport, le bidon-ville ...), ou les voix d'outre-tombe non-identifiées. Vient en plus se rajouter une théorie globale du complot, induite par la spécialité du psychiatre (la folie et l'apocalypse) qui expose des coïncidences entre prophéties et catastrophes mondiales, et par le discours excessif mais cohérent de Jeffrey. Plus fort encore, dès le début, il y a cette impression qui réside, à la fois pour le spectateur et les personnages (notamment par le flashback entêtant de James Cole), de voir le même film se dérouler, mais avec des yeux différents : la bobine demeure la même, mais l'intrigue contient tant de pistes différents qui ne sont jamais anodines, que notre propre regard sur le film peut évoluer d'une vision à l'autre.
Pour terminer, ce film parvient à construire une petite romance maudite entre James et sa psychiatre, qui est la seule éclaircie d'espoir au sein de cette représentation pessimiste d'une modernité non consciente de ses maux (par exemple, la piste animalière, même si elle s'avère être un trompe-l'oeil, avec en prime des piques amusées contre ces révolutionnaires doux-dingues, révèle de manière détournée une tendance fallacieuse de l'homme contre son environnement naturel). Elle fonctionne sur la base de quelques scènes seulement (dans la voiture avec les chansons qui passent à la radio et qu'interprète un James ému, ou après le cinéma où elle se transforme en Grace Kelly), et dans un mouvement de conversion du psychiatre vers James, qui passe elle aussi de l'autre côté (sa rationalité ayant échoué de lui livrer les clés), et laissant donc un peu de crédulité, de folie, mais aussi de l'urgence dans sa perception des choses.
Bref, Terry Gilliam réalise un grand film de SF avec une économie de moyens impressionnante, en reposant avant tout sur un scénario d'une densité exceptionnelle, qui interroge notre perspective sur la réalité à partir du décalage quasi constant entre micro-détails et évènement global. Sont questionnés également les concepts de libre-arbitre et de cause à effet, de façon un peu différente que Bienvenue à Gattaca qui l'abordait par le biais de l'ADN, alors que l'on passe ici par le voyage temporel et la folie : l'impossibilité paradoxale de changer le futur (car c'est déjà arrivé), et notre incapacité intrinsèque à le changer (car se trouvent en nous les germes de notre propre destruction).