Le retour de l'hirondelle d'or, Chang Cheh (1968)
Après un opus plus que respectable réalisé par l'esthète King Hu, Chang Cheh change radicalement de direction en imposant sa marque. Il relègue en effet la magnifique Cheng Pei-Pei au second plan, au profit du carnage perpétué par l'étrange et crépusculaire "Roc d'argent" (Jimmy Wang Yu). Si la touche romantique est toujours présente, elle prend ici la forme d'un chassé-croisé amoureux mettant l'emphase sur deux chevaliers masculins aux antipodes, l'un lui faisant porter le chapeau en marquant chacun de ses passages ensanglantés par une épingle d'or en forme d'hirondelle, l'autre étant son compagnon d'armes, le vertueux Han Tao, qui n'en mènera pas large face à son véloce adversaire qui mettra à rude épreuve son intégrité.
Ce qui m'a surtout surpris dans ce film, c'est son aspect torturé, dont la tranquillité de départ (magnifique scène au bord d'une rivière fabriquée comme une estampille chinoise) est troublée par ce chevalier avide de vengeance se servant de cette dernière pour se faire remarquer auprès de l'hirondelle d'or, prétexte à des rencontres de tyrans sanguinaires qui prennent plaisir à ouvrir les entrailles de leurs victimes, et se prennent en retour le sabre assoiffé de sang du justicier. L'introduction nous donne d'ailleurs le ton avec des combats presque illisibles et perçus sous plusieurs angles, se focalisant ensuite sur la fameuse épingle. Autour de cet artefact, le récit prendra ainsi la forme d'une tragédie célébrant l'héroïsme incompris et les amours impossibles. En dépit d'une chorégraphie parfois chaotique, beaucoup d'éléments remontent le niveau des combats : ils sont dynamiques (on est bien loin des cadrages larges et des mouvements statiques de l'époque), cadrés sous toutes les coutures avec une belle gestion de l'espace et des angles parfois tordus, une violence sèche, et un style propre à chacun. Le tout est accompagné d'une jolie BO que ne renierait pas Ennio Morricone.
Dommage aussi que le rythme transi et les nombreuses ellipses fassent souvent cligner les paupières de fatigue, bien que le fond de l'histoire soit très simple à comprendre. Mais en l'état, il s'agit d'une oeuvre charnière importante pour la production
Shaw brothers, une belle relecture chevaleresque qui fascine par son romantisme vénéneux, son héroïsme crépusculaire, et sa violence tous azimuts qui en finit avec le mythe du héros vertueux et sans reproche.
En dépit d'un rythme lancinant qui peut fatiguer, un film que doit découvrir tout fan du genre, composé d'une romance torturée et de héros ambivalents.