Sonatine - Takeshi Kitano - 1993
A ce stade de sa carrière de réalisateur, Takeshi Kitano nous offre avec Sonatine son meilleur film. Synthétisant à merveille les thèmes de ses trois premiers opus, il atteint ici une forme d'osmose qui achève de définir son univers. Pendant 30 minutes, le récit est pourtant assez classique. Haut placé dans la hiérarchie de son gang de yakuzas, Murakawa est néanmoins un électron libre mais aussi un homme fatigué par la vie qu'il mène. Décidé à raccrocher les gants, il se voit confié une dernière tâche, qui consiste à aller prêter main forte à un clan ami sur l'île d'Okinawa. Affublé de ses fidèles lieutenants et de quelques bras cassés, la mission d'apparence routinière s’avérera être un traquenard. Mais c'est sans compter sur la quête d'évasion du bonhomme qui va emmener toute sa petite troupe dans une bicoque au bord de la plage, histoire de goûter aux plaisirs simples de la vie en attendant l'hypothétique venue de la grande faucheuse.
Le premiers tiers de Sonatine n'est pas forcément très engageant et ne sert que de point de contraste avec le futur dans lequel Murakawa aimerait se projeter, un futur loin de la violence à laquelle il s'abandonne régulièrement dans ses activités. Son personnage de yakuza est à peu près aussi autiste que l'était le flic de Violent Cop et aussi marginal que son personnage dans Jugatsu. Mais il possède aussi des traits de caractère supplémentaires. C'est un homme qui songe à la rédemption là où les personnages précédents étaient bien trop jusqu’au-boutistes pour prétendre à une nouvelle vie. Passé ce prologue qui manque un poil de rythme et de scènes marquantes pour captiver davantage, Kitano part à la recherche de l'innocence perdue de ses personnages.
Welcome to the beach!Au bout de 30 minutes, la rupture de ton tient de la bénédiction. Le maître nous invite au voyage et nous replonge en même temps que ses personnages en enfance. Retranché sur une plage magnifique, tout ce petit monde troque les costards dépareillés pour les chemises à fleurs et tue le temps comme il le peut. La veine contemplative de Kitano reprend le dessus, en même temps que son humour et sa fibre poétique. On en oublierait presque le pourquoi de leur présence en ce lieu. Les rapports hiérarchiques s'atténuent quelque peu au détour de jeux, de danses, de blagues toujours plus saugrenues. En vrac, on assiste à des combats de sumo, à une bataille rangée avec des feux d'artifice, à un spectacle de danse traditionnelle et bien d'autres réjouissances. Pour la première fois en quatre films, Takeshi l'acteur y dévoile un immense sourire communicatif. Lui qu'on juge trop souvent comme étant inexpressif, et qui fait passer ici un torrent d'émotions par son visage irradié par la joie.
La beauté naturelle de cette plage contribue à accentuer la portée émotionnelle de l'histoire. Et que dire de du score sublime de Joe Hisaishi! Le réalisateur prouve avec Sonatine que ses limites techniques peuvent s'estomper derrière son imagination fertile. Il n'est pas uniquement un guignol de la télévision japonaise mais un artiste accompli, doté d'une âme de poète. Sonatine est le premier sommet dans sa filmographie, un film d'une légèreté enivrante. On pourrait rester des heures devant son écran simplement à regarder ses personnages s'amuser comme des gamins. C'est juste beau, le langage employé est universel et marque la naissance définitive d'un grand auteur. Incontournable.
9/10