Twin Peaks : Fire Walk With Me, de David Lynch (1992) Note : Il m'est impossible de critiquer ce film, préquelle de la série Twin Peaks, sans dévoiler un événement majeur de cette dernière. Par conséquent, si vous souhaitez la découvrir un jour et vous éviter tout spoiler, ne lisez pas ce qui suit.
L'histoire : Les sept derniers jours de la vie de Laura Palmer, jeune fille la plus populaire de son lycée qui, sous son air radieux, cache un terrible secret...Un mois seulement après l'annulation de
Twin Peaks, série dont la première saison avait révolutionné le monde de la télévision et connu un énorme succès à travers le monde, David Lynch annonce son attention de mettre en scène une préquelle cinématographique : ce film, au final, s'attirera les foudres de la critique et celles du public. Avec le recul, il est aisé de comprendre pourquoi. D'une part, ce long-métrage est l'oeuvre d'un David Lynch qui se retrouve seul aux commandes, et non le fruit d'une collaboration comme la série. D'autre part, en décidant de centrer son histoire sur Laura Palmer, personnage que l'on découvre assassiné au début de la série, il se retrouve contraint d'exposer ce qui était au coeur de l'intrigue : un inceste. Dès lors, bien des éléments-clés qui contribuaient grandement au charme de ce rendez-vous du petit écran et qui en atténuaient la noirceur ne peuvent répondre présents : l'humour disparaît, le parcours de Laura tenant plus de la tragédie, ainsi que certains personnages, la plupart n'étant pas liés à son assassinat.
Un prologue, d'une durée d'une demi-heure, va ainsi s'évertuer à déjouer les attentes des fans de la série en constituant son antithèse. L'agent Cooper, personnage principal de celle-ci, chargé d'enquêter sur l'assassinat de Laura Palmer, était un personnage sociable et lunaire ? L'agent Desmond, également agent du FBI, chargé d'enquêter sur un meurtre, se montre antipathique et cynique. Les forces de l'ordre de la série regroupaient plusieurs personnages chaleureux, prêts à aider Cooper dans son enquête ? Celles du film feront tout pour l'entraver. Le café et la nourriture, dans la série, étaient toujours délicieux ? Ici le café est infect et la nourriture absente. David Lynch expose donc son message avec clarté, mais les fans de
Twin Peaks ne peuvent que déchanter en découvrant ce film dans la foulée du dernier épisode, même s'il éclaircit le
cliffhanger de celui-ci. Quant aux amoureux de son génie formel, ils risquent de ne pas apprécier le format employé, censé rappeler l'esthétique télévisuelle, même si le sens du cadre de Lynch répond toujours présent, enfermant parfois ses personnages dans de véritables tableaux.
David Lynch a donc pris tous les risques : celui de se mettre à dos les fans de la série et celui de se voir ignoré par ceux qui ne l'ont jamais vue, peu intéressés par l'idée de découvrir sa préquelle. Pourtant, il signe un bouleversant portrait de femme, un diamant noir porté par une Sheryl Lee qui trouve sans doute le rôle de sa vie : un personnage aux facettes multiples, à la fois femme enfant et femme fatale, manipulée et manipulatrice, traîtresse et soucieuse de ne pas entraîner ceux qu'elle aime dans son inévitable chute. Film le plus sombre de David Lynch,
Twin Peaks : Fire Walk with Me reste une oeuvre poignante sur le thème de l'inceste et dont l'ambiance parvient, contre toute attente, à illustrer avec justesse la psychologie de ses victimes, perdues entre solitude, honte et culpabilité : l'univers de son auteur pourrait sembler inadapté aux yeux de ses détracteurs pour dépeindre un pareil sujet, mais tel n'est pas le cas. Donner un nom et un visage au mal (Bob, double de Leland) lui permet même de rester
cohérent sur le plan thématique et
juste sur le plan psychologique.
Un film difficile d'accès, à réserver à une minorité : ceux ayant vu et aimé la série, mais capables, quelques mois ou années plus tard, de retrouver cet univers sous un jour bien différent, plus sombre et tragique.
Note : 9/10