Lost Highway, de David Lynch (1997) L'histoire : Un couple reçoit différentes cassettes vidéo par courrier. La première montre l'extérieur de leur maison, mais la seconde indique que quelqu'un s'y est introduit pour les filmer pendant leur sommeil...Après avoir connu le sommet de sa carrière au début des années 1990, tant au cinéma (Palme d'Or pour
Sailor & Lula) qu'à la télévision (la première saison de
Twin Peaks, véritable révolution, a cumulé succès critique et public dans le monde entier), David Lynch a connu une période noire, marquée par l'annulation de sa série après une seconde saison en demi-teinte et l'accueil glacial réservé à sa préquelle cinématographique, pourtant passionnante.
Lost Highway, tourné cinq ans plus tard, constitue une renaissance pour l'artiste qui n'avait pas proposé une œuvre aussi expérimentale depuis
Eraserhead, son premier long-métrage. Certes, certains passages de
Twin Peaks, le film comme la série (notamment les scènes de la Red Room/Black Lodge) avaient de quoi déstabiliser plus d'un (télé)spectateur, mais l'ensemble obéissait encore à un semblant de raison, Lynch se trouvant sans doute freiné par des impératifs de production ou tempéré par ses collaborateurs. Mais avec
Lost Highway, il nous plonge en plein cauchemar, dans l'esprit d'un personnage dérangé, sans aucun repère auquel se raccrocher ou personnage susceptible de servir de pont entre le monde réel et cette expérience unique (à l'image de celui incarné par Kyle MacLachlan dans
Blue Velvet ou Harry Dean Stanton dans
Sailor & Lula).
L'admirateur du travail de David Lynch trouvera toujours en face de lui un esprit cartésien pour le dénigrer et rejeter en bloc l'idée que le cinéma, comme d'autres arts avant lui, telles la littérature ou la peinture, peut s'affranchir de toute logique au profit d'une narration purement sensorielle, ou bien un autre pour lui affirmer que tout ceci demeure incompréhensible, sans queue ni tête et surinterprété par des critiques en manque de masturbation intellectuelle. Rien de difficile, pourtant, dans
Lost Highway : s'il emprunte beaucoup, de manière parfois caricaturale ou plutôt
outrée, à l'univers du film (néo-)noir, tant dans son esthétique qu'à travers les figures qu'il met en scène, ce long-métrage évoque simplement la folie d'un homme. Un être impuissant et d'une jalousie maladive qui, dans une impasse après l'assassinat de son épouse, fantasme une autre vie, à l'opposé de la sienne. Mais son rêve, peu à peu, va être malmené par des obsessions et des névroses auxquelles il ne peut échapper et qui vont le contaminer au point de transformer ce fantasme en cauchemar éveillé et le ramener à son point de départ. Bien entendu, il s'agit d'une interprétation
parmi d'autres et ici résident la force et la richesse du cinéma de David Lynch : dans ses innombrables degrés de lecture et dans sa capacité à impliquer le spectateur, à lui interdire toute passivité.
Formidable directeur d'acteurs, David Lynch tire ici le meilleur de son casting, composé d'excellents interprètes qui trouvent des rôles marquants (Bill Pullman et Robert Blake) ou d'acteurs/actrices d'ordinaire plus limités qui parviennent ici à marquer le spectateur (Robert Loggia, Balthazar Getty et surtout la sublime Patricia Arquette dans un double rôle entre imagerie de
desperate housewife et femme fatale/
pornstar manipulatrice). Ajoutons des comédiens marquants pour le cinéphile (Jack Nance, Richard Pryor et Gary Busey) et l'on obtient un sans faute. Mais surtout, ce qui impose
Lost Highway comme une renaissance artistique à mes yeux réside dans sa maîtrise formelle : si Lynch a toujours été un esthète, y compris dans un film de commande comme le larmoyant
Elephant Man, il n'avait jamais livré une oeuvre aussi belle, dans la lignée de son travail de photographe, ni des effets sonores aussi maîtrisés pour imposer son ambiance, entre angoisse et oppression.
Lost Highway reste assurément l'un de mes films préférés, que je ne me lasse pas de revoir... Par conséquent, la note maximale s'impose comme une évidence.
Note : 10/10