SPRING BREAKERSHarmony Korine - 2012
8,5/10 Avec tout le buzz qu’il y a eu autour de ce film, il va certainement marcher mais le ,bouche à oreille risque d’être désastreux car la majorité des spectateurs qui iront le voir ne sera pas le public visé … En tout cas, Harmony Korine atteint une nouvelle étape dans sa filmographie. Après avoir fait dans le pur film indépendant avec Gummo et Mister Lonely, s’être essayé au Dogme 95 avec Julien Donkey-Boy et avoir fait un petit tour par le cinéma underground avec Trash humpers, il atteint enfin un stade de maîtrise formelle avec ce Spring breakers.
Ouvrant son film sur une séquence de "spring break" où des jeunes alcoolisés et désinhibés se trémoussent au rythme du son électro de Skrillex, le réalisateur assume totalement le côté provoc’ de son film et offre tout de suite au chaland ce qu’il est venu voir. Sorte de clip MTV sous acide, cette séquence n’a que pour but de nous faire tomber encore plus brutalement dans la réalité.
La réalité, c’est celle de cette petite université du Tennessee où les étudiants se morfondent en attendant les petites fêtes du week-end où ils pourront se saouler. Nashville est la ville d’origine d’Harmony Korine et il la filme comme personne. Ayant déjà servie de toile de fond pour Gummo, on y retrouve cette sensation de "No future". Entre ceux qui fument de la beuh et boivent de l’alcool pour passer le temps et ceux qui vont aux réunions de catéchisme pour trouver un sens à leur vie, on sent ces jeunes dans une impasse dont ils ne sortiront jamais. On y retrouve d’ailleurs un peu d’esprit nihiliste des Lois de l’attraction de Roger Avary. Cette excursion pour le "spring break" représente donc une échappatoire qu’ils ne rateraient pour rien au monde.
Mais dès que nos personnages débarquent en Floride, c’est comme si le réalisateur nous plongeait dans un fantasme éveillé. Heureusement, cette impression est de courte durée car il met assez vite en place une sensation de malaise dévoilant la face cachée de cette euphorie ambiante. Il faut voir cette scène avec une Rachel Korine fortement alcoolisée qui allume un mec avant de le rembarrer : on n’est jamais loin du dérapage. A partir de là, le film est ponctué de scènes qui mettent mal à l’aise le spectateur et le réalisateur en joue parfaitement. Quand les filles débarquent dans ce repère de caïds blacks, on sent qu’on est à 2 doigts de la tournante. Et cette scène où Vanessa Hudgens et Ashley Benson font simuler à James Franco une fellation sur leurs flingues, elle n’a rien à envier à Killer Joe et sa scène de l’aile de poulet dans le genre glauque.
On pourra reprocher au scénario d’être trop simpliste mais le réalisateur contourne le problème grâce à une mise en scène inventive mettant en place des passages de flottements narratifs. Harmony Korine dit d’ailleurs en interview qu’il perçoit le cinéma comme une expérience physique avant une expérience cinématographique faisant référence à 2 films qu’il aime beaucoup (Miami vice de Michael Mann et Husbands de John Cassavetes) et ça se ressent clairement dans ce film où il expérimente beaucoup que ça soit au niveau visuel ou sonore. Entre ces scènes d’errances semblant déconnectées du temps et ces boucles sonores qui martèlent des « spring break forever » jusqu’à l’overdose, le réalisateur sait jouer sur les sens du spectateur (à condition que celui-ci soit ouvert à l’expérience).
Outre la mise en scène inspirée, il faut avouer que le montage n’est pas mal non plus variant entre les effets clippés et les passages plus contemplatifs. Et puis on ne peut évidemment pas parler du film sans souligner la superbe photographie de Benoit Debie. Directeur de la photographie attitré de Gaspard Noé et de Fabrice du Welz, lui aussi expérimente à foison avec ses éclairages aux néons fluorescents. Il apporte vraiment sa patte personnelle au film et on pense forcément à Enter the void en voyant le résultat.
Pour ce qui est de l’interprétation, j’ai été agréablement surpris par Selena Gomez. On était en droit de s’inquiéter de la prestation de cette égérie "Disney Channel" qui semblait être là dans le seul but de casser son image de gentille fille. Mais même si elle tient le rôle le plus prude, c’est elle qui donne le plus de profondeur à son personnage. Et la scène où elle prend conscience de la tournure des évènements et qu’elle craque psychologiquement prouve qu’elle a un vrai potentiel d'actrice. A ses côtés, Vanessa Hudgens et Ashley Benson se lâchent complètement en jeunes filles qui repoussent constamment leur limite jusqu’à un point de non retour. Mais leurs personnages manquent quand même un peu de consistance. Quant à Rachel Korine, elle reste un peu en retrait par rapport aux 3 autres et quitte d’ailleurs le film par la petite porte : dommage. Enfin, James Franco fait carrément son show dans le rôle du caïd du coin qui se prend pour Tony Montana. Pas facile d’interpréter ce personnage imbu de sa personne et carrément détestable mais il y arrive fort bien grâce à une dégaine et un phrasé derrière lesquels il s’efface.
Alors, c’est sûr que le film n’est pas dépourvu de quelques défauts (un scénario un peu trop simpliste, des personnages pas assez développés) mais on sent une telle volonté de faire quelque chose qui sort des sentiers battus qu’on ne peut qu’apprécier cette prise de risque. Quant à la fin, même si elle a un certain charme, je n’aurais pas été contre une fin à la Scarface où les filles auraient fini criblées de balles : ça aurait été plus crédible et surtout bien plus osé à mes yeux.
Au final, Harmony Korine nous livre un bien beau film où les effets clipesques se mélangent à des passages plus contemplatifs. Et là où certains verront un film de petit malin qui profite du buzz, j’y vois une vraie expérimentation sensorielle digne d’autres grands réalisateurs contemporains (Gaspard Noé, Nicolas Winding Refn, David Lynch). Je ne sais pas si le film arrivera à devenir culte avec le temps mais en tout cas, pour moi, c'est un grand film "next gen" (dans le bon sens du terme).