Une nouvelle fois, Misumi prouve qu'il n'est pas le père de ce masseur aveugle pour rien. Tout dans Le shogun de l'ombre transpire de son identité personnelle, de sa parfaite maîtrise de son personnage et de son indéniable sens de la mise en scène. Et s'il y a un seul regret qui vient troubler ce tableau de perfection, c'est que cet épisode signé par le maître est le dernier qu'il réalisera pour la saga Zatoichi.
Regret parce qu'il y a bien Misumi et les autres dans cette belle série qui construit ce personnage si charismatique de Zatoichi. Et si certains réalisateurs prennent le relai avec talent, peu rivalisent avec Misumi, et cet épisode, en se hissant au sommet de tous ceux que j'ai vus jusqu'à présent, creuse encore plus l'écart. Son savoir faire esthétique, ce sens du cadre qui lui est propre, donne à cet opus une beauté formelle jouissive. Son génie de la mise en scène des combats, sabre en main, permet au film de se voir offrir des scènes à l'impact rageur, qui donne aux différents protagonistes concernés par ces moments, qui allient créativité et efficacité des lames, une très belle envergure. Zatoichi explose totalement lors d'un final somptueux, émergeant des flammes de sa mort programmée pour se lancer dans une leçon de morale meurtrière à laquelle on assiste le sourire au lèvre, les dents serrées, presque la larme à l'oeil.
Mais bien plus que le savoir faire virtuose du cinéaste, c'est bien cette ambiance qui lui est propre et qu'il insuffle à la saga qui donne également cette particularité aux épisodes qu'il réalise. En témoigne ce passage complètement décalé, où Zatoichi et sa promise sont reçus par des commerçants hauts en couleur. La séquence est burlesque, pourrait sembler hors du film, mais elle s'y inscrit pourtant parfaitement, comme un entracte relaxant avant de voir la mort se replacer sur l'échiquier.
Quant au script, on pourrait être tenté de dire qu'il est un peu léger, mais il n'en est rien. Les personnages prennent tant d'importance d'un point de vue écriture qu'ils font tout l'intérêt du film. Dès lors, le côté très linéaire de l'histoire, elle est ici un seul prétexte aux affrontements, permet à Misumi de les développer avec finesse. On pense notamment à cet ennemi très détestable, qui semble être un Zatoichi ayant sombré du côté obscur de la force ou bien à ce samouraï en quête de vengeance, impassible, sombre mais terriblement charismatique. Bien entendu, notre masseur n'est pas en reste, Shintaro Katsu est toujours habité par le personnage et ce dernier continue d'évoluer de belle façon. On assiste parfois avec tendresse à cette histoire d'amour qu'il tente une nouvelle fois de combattre, mais bien plus souvent avec entrain à ces duels morbides, d'une efficacité redoutable dont Misumi a le secret.
Zatoichi : le shogun de l'ombre, est un épisode bilan d'une puissance extrême. Zatoichi continue d'y grandir en plus d'y délivrer toute sa puissance, qu'elle soit spirituelle ou martiale. Misumi signe avec sa dernière participation à la sage sa plus belle réussite dans cette dernière, un épisode exemplaire qu'il va être difficile de détrôner.