L’ODYSSÉE DE PI-------------------------------------------
Ang Lee (2012) |
7/10 Réputé inadaptable (Shyamalan, Cuaron et Jeunet s'y sont cassé les dents), le bestseller de Yann Martel avait en effet tout d'une gageure cinématographique, tant l'histoire de ce naufragé et de son tigre cumule les contraintes techniques.
On peut donc déjà reconnaître à Ang Lee d'avoir su proposer une adaptation brillante d'un point de vue visuel, réussissant à donner vie à des animaux en CGI (merci les gars des FX) et à retranscrire avec style l'univers naturaliste et onirique de cette odyssée. A quelques moments il frôle la lisière du kitsch, avec ces poissons hybrides et ces peintures phosphorescentes, mais son film malgré tout reste suffisamment puissant et magnifique pour nous embarquer dans un voyage multicolore unique. Le naufrage est archi-spectaculaire (la 3D semble ici notamment parfaitement utilisée - je l'ai vu en 2D), les conditions de vie en mer ensuite et de cohabitation sont filmées avec une très belle aisance, et le cœur du film prend alors une dimension vraiment épique dans le rapport aux éléments et à l'environnement solitaire et circonscris aux limites d'une barque de survie. Les images sont à la fois poétiques et brutes, et d'un point de vue visuel l'équilibre se fait. Les événements qui rythment cette longue dérive sont eux traités tantôt avec humour, tantôt avec gravité et le jeu du chat et de la souris qui se met en place est en même temps ludique et profond. Le développement du film est donc un morceau de bravoure et on peut reconnaître à Ang Lee ses très belles inspirations en terme de rendu, d'effets, de gestion du rythme et de gestion d'espace.
Néanmoins le film pêche par ses à-côtés. Ainsi, la longue introduction bucolique de Pondichéry m'a un peu fait penser à du sous Jeunet tendance romantico-comique, plutôt sympa mais un peu cliché... Et surtout pendant le récit, les A/R constants avec le présent n'apportent au final que très peu de choses (la partie Montréalaise est très statique, presque poussive) et la conclusion du récit est en même temps lapidaire et surexplicative. Les références syncrétistes au divin, assez intéressantes, sont cependant bien trop ressassées et appuyées à la longue pour ne pas gêner. De plus l'interprétation est globalement assez fade (les 2 acteurs qui interprètent Pi ne m'ont pas franchement séduit -Pi dans son bateau est pas trop mal quand il ne parle pas-, le perso du journaliste lui n'apporte aucun peps) et le récit perd globalement de sa force dans ces moments-là. On sent que Ang Lee a certes voulu rester dans l'intime mais j'ai ressenti ici un sérieux manque d'inspiration, ses personnages n'ayant pas assez de substance.
Dès le pied posé à terre le soufflé tombe alors beaucoup trop à plat, et même si l'on sent poindre forcément la logique du propos tournée vers le pouvoir de l'imaginaire vis à vis du réel (et d'autres choses, comme la dualité humain/animal et le sujet tabou de l'anthropophagie), on est quand même sacrément refroidi par le manque de parti-pris du réal et une posture finale assez évasive. Et on est alors contraint d'oublier très vite la très belle heure et demie passée en compagnie de Pi et de son tigre, pour s'interroger sur les fondements de l'histoire et de sa symbolique.
Mais Ang Lee rate ici le coche, car son dénouement est en même temps expédié et à la fois trop souligné, un déséquilibre donc en comparaison à la partie récit et à son mélange si habile d'aventure, de drame et poésie.
Bref, Un peu dommage qu'il ait donc trop sacrifié ces moments-là, son film aurait gagner à enfoncer le clou sur le dénouement principal. Je ne sais pas si la fin du roman est similaire mais le gentil foyer de Pi et la relative facilité d'une fin ouverte m'a pas mal déçu. Alors si l'exploit d'une adaptation technique et efficace d'une superbe histoire est lui bel et bien présent et le contrat du beau livre d'images épiques est réussi, la seule magie de l'illustration (au détriment je trouve d'un manque profondeur) ne m'a donc pas totalement convaincu.