PAS VU : PAS LIRE !
Une fois de plus, après la trilogie BACK TO THE FUTURE, WHO FRAMED ROGER RABBIT, DEATH BECOMES HER, FORREST GUMP, CONTACT, et même WHAT LIES BENEATH, la caméra à explorer le temps de Robert Zemeckis ne cesse de nous émerveiller ou de nous stupéfier.
La vie de Chuck Noland tout entière est régie par ce temps humain implacable, et lors du crash, il se dépouille de tous ses artifices temporels : il se défait de sa montre bracelet juste avant que le crash débute, il tente de récupérer la montre de Kelly en plein chaos (il court après ce temps pour ne pas le perdre), et malgré tout, la montre « Kelly Time » s’arrête une fois sur l’île, comme si Chuck avait débarqué dans un no man’s land doublé d’un «no time land » vertigineux, où le temps semble s’arrêter et s’éterniser…
Robert Zemeckis se sert de sa caméra pour décrire le tour de l’île en un tournoiement panoramique, d’un point de vue unique, signifiant alors le mouvement même des aiguilles d’une montre et dans le bon sens. Le panoramique est pour cela beaucoup utilisé tout au long du film, puisqu’il décrit une rotation à partir d’un point de vue unique, identique à la trajectoire des aiguilles d’une montre. L’île et son aspect circulaire, les mouvements de caméras qui accompagnent la forme de l’île pour explorer ses paysages, la bouée de sauvetage, la pendule de Kelly, la lampe de poche, les noix de coco, le ballon Wilson, le Soleil et la Lune qui sont les seuls régisseurs du temps sur l’île, tous les éléments concourent à aborder dans l’image le thème du cercle, du cycle de la vie et donc du temps. L’île est devenue un temps à elle toute seule, différent de celui que Chuck a jusqu’ici connu…
L’île impose ses propres règles temporelles : au départ le temps semble s’arrêter, puis s’accélérer impitoyablement (les jours et les nuits défilent jusqu’au carton « 4 ans plus tard »), et le temps remonte également jusqu’aux prémices de la civilisation humaine, jusqu’à l’âge de pierre et la découverte du feu… Chuck est contraint par l’île d’effectuer un véritable retour dans le temps physiquement et moralement pour survivre. Il découvre comment ses ancêtres ont évolué, et lui-même répète cette évolution de l’homme primaire comme si le temps qu’il avait jusqu’ici connu dans sa vie avait miraculeusement remonté 3 millions d’années…
Robert Zemeckis joue une fois de plus avec le temps, de manière incroyablement recherchée et inventive. Après le voyage scientifique de Marty, propulsé par la technologie dans le passé et le futur, après le voyage dans le passé de l’Amérique par le récit de Forrest Gump, après le voyage physique vers la jeunesse passée de Madeline Ashton dans THE DEATH BECOMES HER, après le voyage par les ondes répandues dans l’espace jusqu’au confins de notre 20ème siècle (anthologique plan d’ouverture de CONTACT) et après le voyage psychique de Claire Spencer qui revit le traumatisme de l’adultère de son mari et de son accident (comme en parle Robert Zemeckis, le fameux « flash back en temps réel » de WHAT LIES BENEATH), voilà enfin une fois de plus dans CAST AWAY un temps qui remonte cette fois jusqu’à l’aube de l’humanité, mais ici sans que jamais le film ne devienne science-fictif ou fantastique. Le voyage dans le temps se déroule de manière incroyablement réelle pour Chuck Noland. Voilà du cinéma neuf, réfléchi, profond… Je m’incline respectueusement devant tant de talent.
La fin, pourtant souvent remise en question, est PAR-FAITE. Tous les éléments concordent, la boucle entière se referme à la perfection. Chuck retrouve Kelly pour la perdre à nouveau : évidence fatale. Il rapporte enfin le paquet à son propriétaire, et peu importe ce qu’il contenait, c’est ce qu’il représentait qui est plus fort. Je suis sûr que si on demandait à Robert Zemeckis ce que le paquet contenait, il nous répondrait : l’Espoir.
L’espoir pour le spectateur et pour le personnage de qu’il y aurait pu y avoir dans ce paquet, et surtout l’espoir que Chuck parviendrait un jour à délivrer ce paquet, à se délivrer lui-même en quelque sorte de sa « prison temporelle »…
Petit clin d’œil, au passage, on remarquera que Chuck est passé par la boutique de sport pour se procurer un ballon de volley ball Wilson flambant neuf, sorte de réflexe psychologique, le traumatisme de sa séparation en plein océan avec un bout de lui-même n’étant pas totalement guéri…
Enfin, ce plan métaphorique final frise le génie absolu. Chuck est au carrefour de sa vie, ceci démontrant que son nouveau départ lui donne tous les choix qu’il désire. L’horizon symbolise la liberté, les routes les différents chemins qu’il peut choisir d’emprunter. Chacun des spectateurs est alors amené à se demander quelle route Chuck va choisir et quelle vie il va alors mener. De manière logiquement frustrante, Chuck redevient soudain Tom Hanks, Robert Zemeckis et Bill Broyles tout à la fois, lorsqu’il se retourne vers nous, et lance un regard caméra, une sorte de « Et vous que choisissez-vous pour votre vie future ? ». Le propos individuel lié au personnage de Chuck Noland s’éteint alors pour s’étendre au spectateur. Le propos s’universalise avec ce plan final et clame que chacun émet ses propres choix dans sa vie. Nous sommes alors comme Chuck Noland, propulsé grâce à ce film, à un véritable carrefour de notre existence. La vie n’est pas une fatalité, nous nous créons nous seuls nos prisons et nos fatalités, la vraie vie est pleine de choix et de libertés et chacun a le pouvoir de créer son propre destin.
Le propos final de cet incroyable film, fait évidemment écho au retentissant final de la trilogie BACK TO THE FUTURE : « The Future Isn’t Written », le futur n’est pas écrit, chacun est maître de sa destinée. Faisons en sorte que le futur soit bon pour chacun d’entre-nous…
La boucle est bouclée, Bob Zemeckis m’atterre une fois de plus par la vérité de son propos et la concomitance de sa filmographie tout entière… Chacun de ses films est une pièce d’un puzzle géant qui aborde des éléments essentiels de nos existences,…
et je compte bien aller jusqu’au bout du puzzle !