La Cité des enfants perdus de Jean-Pierre Jeunet
(1995)
Second et dernier film du fameux duo Jeunet/Caro (troisième si l'on compte leur génial Bunker de la dernière rafale qui, en terme de mise en scène et d'ambiance, met la pâté à bon nombre de films post-apocalyptiques) après le génial Delicatessen qui s'imposait comme une œuvre atypique dans un cinéma français en train de régresser en terme de diversité. La Cité des enfants perdus était donc le projet qui allait, ou non, confirmer le talent du duo pour proposer à la fois le charme et la maîtrise qui faisait la force de leur précédent métrage, mais aussi un renouvellement obligatoire qui permettrait à Delicatessen de ne pas passer pour un coup de chance. Heureusement, ce second film tient de façon brillante ses promesses, avec notamment un script encore plus dingue dans l'esprit, et une patte visuelle indéniable. Pour autant, s'il y a bien un défaut dans cet excellent film, c'est bien évidemment son scénario qui tente une aventure plus grande en terme d'ampleur.
Certes, l'univers présenté est génial sur de nombreux points et les très bonnes idées s'accumulent (l'oncle-cerveau, les clones, les puces, les voleurs d'enfants, etc...) mais force est de constater qu'il manque une réelle implication émotionnelle pour convaincre totalement. Là où, dans
Delicatessen, on souhaitait vraiment voir le couple braver la tyrannie du boucher, on est ici devant une recherche d'un petit frère qui importe finalement très peu, et tout ce qui a trait à la fameuse Cité paraît vraiment hors-propos, d'autant que la finalité est bâclé en l'espace de quelques minutes (et je ne parle même pas du personnage de l'Original qui ne sert finalement pas à grand chose). Néanmoins, l'univers en lui même possède tellement de charme qu'on adhère tout de même à ce récit qui prend des formes de conte pour enfants visuellement très osé, ou comment faire rencontrer l'imagerie steampunk, la folie du cinéma de Terry Gilliam et l'ambiance du réalisme poétique français. Dans un tel univers, on crée des machines pour faire des rêves (et quelqu'un d'extérieur peut même rentrer dedans en se connectant, coucou Christopher Nolan
), on utilise les puces comme instrument de mort, les aveugles et sourds se regroupent dans un marché noir de kidnapping, les enfants parlent comme Jean Gabin et les personnages rencontrés sont des plus étonnants.
La direction artistique de Marc Caro fait encore une fois des merveilles, et le travail fourni sur ce point vaut à lui tout seul la vision du film. Un travail sublimé par la mise en scène de Jeunet qui, non content d'offrir une expérimentation visuelle de chaque instant (excellente utilisation de la courte focale et des effets visuels) prend même le temps d'explorer des thématiques qui annonçaient déjà ses films futurs. Ainsi, difficile de ne pas penser au quatrième opus d'Alien lors de la découverte du laboratoire de la Cité, ou au Fabuleux Destin d'Amélie Poulain dans le personnage de Miette ou la séquence de la goutte d'eau qui provoque une réaction en chaîne. Enfin, la musique participe pleinement à l'ambiance générale et le casting est tout simplement excellent, avec un Ron Perlman qui trouvait l'un des ses premiers grands rôles, et une galerie de seconds rôles assez impressionnante (Pinon, Dreyfus, Rufus, Trintignant, etc...). Un excellent film qui prouvait tout le talent de Jeunet et Caro, vraiment dommage qu'ils n'aient pas continués à collaborer ensemble par la suite.
NOTE : 7,5/10