Première vision et 3h40 de bonheur contemplatif, de dépaysement lumineux et de sensations complexes. Lawrence d'Arabie mérite clairement son statut de chef d’œuvre d'aventures épiques. Et plus qu'une simple virée désertique, grandiose au demeurant, c'est aussi et avant tout un portrait tout en nuances d'un simple mortel projeté dans le feu des guerres Arabes et l'ivresse du pouvoir. Peter O'Toole, frêle, habité, incarne ce personnage complexe, un bâtard britannique plus gênant qu'autre chose, qui par hasard puis force de persuasion et de conviction va devenir le porte-étendard de la guerre contre les Turcs. Son regard bleu ciel traduit tour à tour la volonté d'un homme, sa passion, puis la folie naissante et la résignation. Car ce Lawrence d'Arabie est un homme ordinaire dans une situation d'exception, et ses aventures personnelles et quasi bibliques seront bien plus qu'un grain de poussière dans le désert.
Cette histoire fascinante, terrible et merveilleuse à la fois, est racontée avec la plus belle des ampleurs Hollywoodiennes, étirant le propos et sublimant les images pour en rendre l'immersion encore plus totale. Ainsi les panoramas du film restent sans doute parmi les plus majestueux gravés sur pellicule et les péripéties à dos de dromadaires, rythmées par le thème musical grandiose de Maurice Jarre, est un ravissement pour les sens au même titre qu'un Delacroix.
Aussi bien politiques, historiques, épiques ou individuelles, les aventures décrites par David Lean sont autant d'occasions de dresser des tableaux somptueux, guerriers ou poétiques. L'admirable qualité du film réside aussi dans ses personnages efficaces, aussi bien touchants pour les petits rôles que charismatiques pour les grands, Omar Charif en tête notamment.
Le film n'est pas pour autant exempt de défauts. Les manœuvres politiques sont parfois obscures et l'interprétation de O'Toole est parfois hermétique. Mais les zones d'ombre qui en résultent donnent aussi au film une relative part de mystère, et nourrit ainsi l’ambiguïté d'un récit complexe et non manichéen.
Car dans tous les cas, Lawrence d'Arabie, outre son aspect immensément majestueux, est une parabole très forte sur les jeux du pouvoir politique, du risque de s'y brûler, et une incarnation très émouvante qui trouve dans son personnage humain, fragile et passionné une identification immédiate. Un énorme morceau donc, et une pépite cinématographique en or massif qui n'a pas pris une ride en plus de 50 ans.