Quatre ans à peine après la consécration qu'elle a reçue pour Démineurs, Kathryn Bigelow remet les mains dans le cambouis et plonge la tête la première dans le dossier encore tout chaud que fut la traque d'Oussama Ben Laden par les membres de la CIA. Son précédent film était un vrai rush d'adrénaline en plein coeur de la fourmilière Bagdad, Zero Dark Thirty abandonne les histoires à hauteur d'homme et retrace de manière chirurgicale, et très froide, les évènements qui ont fait de cette chasse à la chimère, une véritable obsession pour les américains. Dix ans d'une quête aveugle opérée par une poignée d'hommes et de femmes dévoués, pour enfin débusquer l'ennemi public numéro un.
Ce film est avant tout une histoire de sacrifice et de détermination. Contre vents et marées, Maya (Jessica Chastain, parfaite) se cogne jour après jour, à l'immobilisme de sa hiérarchie, à la perte d'illusion de ses collègues (certains y laisseront même bien plus) et surtout à son propre désarroi. La réalisatrice prend d'ailleurs son temps pour permettre au spectateur de bien mesurer à quel point la jeune femme fait de cette affaire d'état une affaire personnelle. Maya vit, mange et dort Ben Laden. On cherche une once d'humanité derrière ce physique fragile ballottée aux quatre coins du globe à la recherche du moindre renseignement sans réussir à percer cette carapace qui masque presque toute émotion.
La où Zero Dark Thirty enterre (de mon point de vue) la concurrence, c'est qu'il évite tous les écueils des films propagande ou des fables pacifistes qui sont monnaie courante dans la production américaine contemporaine. L'absence d'implication émotionnelle et la prime au factuel est le meilleur argument pour définir cette croisade inlassable. Et en l’occurrence, il n'est pas interdit de penser qu'ici, la fin justifie les moyens. Bigelow donne une nouvelle définition de l'héroïsme guerrier au cinéma. Exit les discours patriotiques et les plans à répétition sur la bannière étoilée flottant au gré du vent. Ici, seul le dévouement, qui vire pratiquement à la dévotion a droit de cité.
Malgré ses 2h37 au compteur, Bigelow gère parfaitement son rythme. Ceux qui attendent de l'action pétaradante et du suspense à foison peuvent passer leur chemin. En revanche, si vous voulez avoir le sentiment d'être une mouche dans les salles d'interrogatoire ou dans les couloirs de la CIA, bienvenue à bord. La réalisatrice n'en oublie pas pour autant pour distiller quelques moments de tension très réussis. La façon dont elle aborde de manière très distanciée les attentats du 11 septembre en guise d'introduction ou ceux de Londres en 2005 fait sont petit effet. Ça n'est jamais tape à l'oeil, on sait à quoi s'en tenir et pourtant à chaque fois on serre la mâchoire, secoués que nous sommes par les brèves images de choc, de détresse ou de stupéfaction. Le film est comme ça tout du long, un récit linéaire, calculé et minutieux parsemé de pics plus intenses, généralement provoqué par une détonation, qu'elle soit attendue ou pas.
On ressent également très bien le changement de gouvernement à mi-parcours et le passage de témoin entre le pouvoir républicain sans retenue et leur pendant démocrate qui malgré sa soif de résultat y va avec beaucoup plus de pincettes. Pendant que les premiers fermaient les yeux sur la torture et les interrogatoires à coup de rangers dans la tronche (à ce niveau, le film n'élude aucun sujet épineux et n'hésite pas à mettre les pieds dans le plat), les seconds tergiversent, s'embourbent dans le respect du cadre législatif au point de pratiquement perdre toute piste. C'était heureusement sans compter sur les équipes de l'ombre de la CIA, fidèles travailleurs infatiguables qui se gargarisent des échecs répétés.
Le reste du Cast donne d'ailleurs un sacré coup de fouet au récit dans la deuxième partie du film. Les apparitions, même très brèves, des excellents Mark Strong et James Gandolfini, sont vécues comme l'arrivée de rock stars. L'acharnement et le culot de Maya face à ses supérieurs sont autant d'excellentes scènes pour le spectateur (j'adore le harcèlement qu'elle exerce sur le personnage de Strong en écrivant tous les jours sur la porte de son bureau, il n'y a qu'une femme pour ne pas lâcher le morceau à ce point!
). In fine, au bout de deux heures d'enquête captivante, Bigelow lâche les chevaux et offre une vraie séquence d'action spectaculaire, sans trop d'esbroufe mais admirablement shootée, l'assaut de la dernière demeure d'OBL, en pleine cambrousse pakistanaise. Un épilogue intense mais qui ne fait jamais l'erreur de glorifier l'action des hommes chargés du labeur. Même si on quitte Maya le temps de l'opération, on garde constamment à l'esprit que de cette issue favorable dépend sa délivrance. Les chaines sacrificielles vont enfin pouvoir être détruites. Grand film.
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