Deuxième volet de sa trilogie fantastique avec
La féline et
L'homme Léopard, Jacques Tourneur confirme qu'il est un chirurgien de l'âme humaine et de ses sombres secrets, en l'abordant de biais, en l'installant dans un cadre qui se prête à la légende exotique. Bien qu'il continue à distiller brillamment sa science de la suggestion (c'est fou quels effets il réalise avec peu de choses), il parvient encore plus à malmener le spectateur entre fantastique et réalisme, car toute l'île devient le terrain idéal pour implanter, progressivement, une bonne dose d'ésotérisme qui manquait un peu à
La féline.
Tout comme dans ce dernier,
Vaudou étonne par sa capacité à nous raconter une histoire en si peu de temps, ni trop vite ni trop lentement. L'introduction plante bien le décor par l'intervention de l'un des personnages-clé, le mari (interprété par le docteur de
La féline), qui désenchante la beauté extérieure pourtant visible, pour lui dévoiler les profondeurs maléfiques et moribondes qui se cacheraient sous cette l'apparence de cette dernière. On l'a compris, ce film sera sous le signe de la mélancolie. Et de nouveau, le fantastique est une métaphore de l'humain, ici un drame familial à multiples niveaux prenant son ancrage dans la maladie semble t-il incurable de l'épouse. Folle ou zombie ? Les ragots fusent. Le docteur montre la voie de la raison et la première partie du film nous préserve encore, mais les tam-tams obsédants et la croyance vaudou indiquent quelque chose de plus inquiétant, et finissent par malmener notre sens commun.
ll est vrai que
Vaudou est la première fois qu'on parle de zombies, mais on ne va pas plus loin avec Tourneur que la première scène de
La nuit des morts-vivants : lents, sans volonté, susceptibles de tomber sous le pouvoir du prêtre Vaudou, mais stoppés juste avant qu'on sache ce dont ils sont réellement capables. Comme dans
La Féline, les deux personnages qui les incarnent sont l'archétype physique parfait du genre : grands, fins, presque fantomatiques, d'une démarche inquiétante. La mythologie qui enveloppe les deux zombies, la mariée et le noir, est suggérée juste comme il faut pour garder de la place pour l'imagination, renvoyant à l'histoire immémoriale de l'esclavage d'une part, et l'empoisonnement affectif de l'autre, tous les deux conduisant à un état de mort-vivant.
Au niveau de la mise en scène, il y a plusieurs moments d'anthologie. D'abord la première rencontre de l'infirmière avec la mariée se déroulant sous les ombres du moulin, d'une esthétique gothique que ne renierait pas l'expressionisme allemand. Ensuite la fameuse traversée des marécages parsemée de fétiches, et bloquée par l'un d'Eux, menant à un rituel envoutant, rythmé par les danses et la musique vaudous. Et enfin la dernière scène, qui conclue le film de manière au moins aussi tragique que dans
La féline, et jettant un doute sur la véracité de ce qui s'est réellement passé. Encore un excellent film de Jacques Tourneur qui fait de lui un excellent conteur, tant par les images et par l'ambiance sonore, que par le récit.