THE MASTER de Paul Thomas Anderson (2012)
Il aura fallu cinq ans à Paul Thomas Anderson pour livrer son nouveau film. Vendu comme une critique au vitriol de l’église de Scientologie, The Master est évidemment beaucoup plus intéressant que cela. Le film fonctionne sur une mécanique assez semblable à celle de There Will Be Blood (qu’il est d’ailleurs préférable d’oublier le temps de la séance pour ne pas être parasité), la structure narrative étant a peu près la même. Il est intéressant de noter que The Master peut-être vu comme une suite à There Will Be Blood, quelques trente années plus tard. Anderson s’intéresse à nouveau à un duo de personnages. Comme dans son précédent chef d’œuvre, on suit un misanthrope cynique au bord de la folie (Freddie Quell/Daniel Plainview) et un représentant spirituel (Lancaster Dodd/Eli Sunday). Le misanthrope rencontre le chemin du spirituel et un rapport de force s’enclenche entre les deux. Si Daniel Plainview restait constamment dans l’opposition à Sunday, ici, Quell se soumet entièrement à Lancaster Dodd. Ce personnage, qui était pourtant un rebelle, un dur à cuire, se laisse berner comme les autres. La discussion finale entre les deux est d’ailleurs assez proche de celle entre Daniel Day-Lewis et Paul Dano. Mais si Plainview triomphait cyniquement du spirituel qui s’était embourbé dans ses propres compromissions, ici, Quell ne réussit pas à s’affranchir totalement du Maître et reproduit le schéma dominant/dominé avec la première femme qu’il rencontre. Je trouve intéressant qu’Anderson ait choisi cette fois un acteur âgé pour incarner la « face » spirituelle du duo. Il y a comme une inversion du rapport de force qui autrefois était en faveur du misanthrope solitaire dont l’époque du rêve américain lui assura la suprématie sur un mystique trop jeune et inexpérimenté. Désormais, le mystique a appris de ses erreurs et ne se laisse plus berner et le solitaire, perdu dans une société bouleversée, se laisse prendre dans les griffes du Maître. Comme le dit Dodd a Quell, tout le monde a [désormais] besoin d’un maître.
Anderson livre une nouvelle fois une étude ambitieuse et provocante de l’Histoire américaine. Pour incarner ses personnages, Joaquin Phoenix et Philip Seymour Hoffman livrent deux prestations de génie. Amy Adams en femme manipulatrice incarne un second personnage ambigu très intéressant. La mise en scène est à nouveau merveilleuse. Anderson et son chef opérateur livrent des plans de toute beauté et une reconstitution minutieuse de l’Amérique de 1950.
9/10