Life Of Pi (L'Odyssée de Pi) de Ang Lee
(2012)
Une très belle surprise de la part d'un film dont on pouvait attendre autant de mal que de bien. Véritable projet maudit sur lequel se seront cassés les dents des réalisateurs prestigieux tels que M. Night Shyamalan, Alfonso Cuaron ou encore Jean-Pierre Jeunet (qui raconte d'ailleurs toute son expérience dans un excellent article disponible sur son site officiel), l'adaptation du roman de Yann Martel aura suscité beaucoup d'efforts durant de nombreuses années, des efforts finalement vains car derrière l'apparence simpliste de l'intrigue de l'ouvrage (un jeune garçon se retrouve seul avec un tigre dans une barque durant la presque totalité de l'histoire) se cache finalement d'énormes problèmes techniques qui ont eu finalement raison de l’œuvre jusqu'à aujourd'hui.
Avec l'annonce d'Ang Lee aux commandes, lui qui, au fil des années, a réussi à se construire une véritable image de touche à tout relativement doué, on pouvait réellement commencer à craindre pour l'intégrité du projet. Certes, le réalisateur est loin d'être ce qu'il y a de pire dans l'industrie, bien au contraire puisqu'il a toujours réussi à éviter d'être relayé au rang de simple yes-man en incorporant dans sa filmographie assez d'audace pour surprendre son public, mais autant cela donnait parfois des bons films (
Brokeback Mountain pour ne citer que lui, film très intelligent derrière son apparence académique) autant cela pouvait donner des résultats pour le moins hasardeux (sa version de Hulk, malgré de très bonnes intentions, est loin d'être un bon film). Une crainte finalement confirmée par les premières images du film apparues pour la promotion, avec un déluge indigeste d'effets visuels au service d'une volonté louable d'originalité visuelle. Pourtant, force est de constater que
Life Of Pi, derrière ses airs de film casse-gueule, cache finalement une véritable pépite de cinéma pur comme on en voit hélas trop peu ces derniers temps. Du film d'aventure teinté de survival qui se révèle être un fabuleux récit sur les démons de l'être humain et sur sa capacité à croire pour survivre, une véritable ode à la vie qui devient un chant de cinéma dans ce qu'il a de plus brut, ce qui risque d'en agacer plus d'un.
En effet, l'introduction du film, prenant tout de même pas moins d'une demi-heure, en agacera beaucoup de par sa représentation alambiquée d'une enfance pleine de découvertes et ce, malgré des thèmes abordés résolument adultes tels que la recherche d'une religion qui nous correspond ou encore la figure paternelle qui confronte son fils aux réalités de la vie. Au premier abord, cette longue partie du film aura de quoi étonner, mais on se rendra vite compte qu'elle est finalement indispensable au métrage dans sa totalité, distillant petit à petit des indices qui vont donner quelque chose de bien plus grand par la suite (la lecture de L’Île Mystérieuse de Jules Verne, de L’Étranger de Camus, le nom Richard Parker qui renvoie aux écrits d'Edgar Allan Poe ou tout simplement la réplique énonçant clairement que les animaux reflètent les émotions de l'être humain). On est donc ici devant un récit bien plus profond qu'il n'y paraît, et c'est véritablement la grande force de
Life Of Pi, à savoir sa capacité à surprendre son spectateur jusqu'au bout, notamment avec un final bouleversant qui remettra en cause le spectateur sur ce qu'il vient de voir, et surtout sur ce qu'il choisit de croire. Car le film d'Ang Lee fait partie de ces rares œuvres qui s'appuient énormément sur la capacité du spectateur a adhérer au message qu'il transmet, ce qui en fait non seulement une pièce filmique originale, mais en plus l'une des plus intelligentes vues ces derniers temps sur grand écran.
A sujet incroyable, mise en scène incroyable, et à ce niveau là, la participation d'Ang Lee a clairement donné une véritable dimension au métrage dans sa globalité, le réalisateur ayant compris que seul un détachement du spectateur vis à vis de ce qu'il voit (puisqu'il écoute/voit le récit à l'instar du personnage de l'écrivain) pouvait permettre au récit d'exister pleinement. Ainsi, loin d'être là uniquement pour épater la galerie, la technologie est ici utilisée à des fins expérimentales mais toujours justifiées. Que ce soit les changements de format, l'utilisation du CGI pour créer un univers onirique, ou la 3D qui compte parmi les plus belles jamais créées, on est bien en face d'une œuvre où le fond et la forme se complètent pleinement. En terme d'effets visuels, le film est une claque assez monumentale. Alors certes, tout n'est pas parfait, mais il suffit de voir ce fameux Richard Parker pour comprendre que l'on est en face d'un des personnages virtuels les plus fascinants de l'histoire du cinéma en terme d'interaction avec le réel. L'immersion est donc au rendez-vous, soutenue par la réalisation d'Ang Lee qui multiplie les morceaux de bravoure, comme ce terrible naufrage, l'escapade nocturne sur l'île ou encore cette superbe séquence où le héros en vient à s'adresser à Dieu en criant au beau milieu d'une tempête.
Un superbe film donc, magnifiée par une très belle composition de Mychael Danna ainsi que par l'excellente prestation de Suraj Sharma dans son premier rôle. Clairement le meilleur film de son auteur en plus d'être l'une des très bonnes surprises de cette année et qui mérite réellement d'être découvert dans les meilleures conditions possibles, dans une salle de cinéma et en relief.
NOTE : 7,5/10