Le Hobbit: Un voyage inattendu, (The Hobbit: An Unexpected Journey), Peter Jackson, 2012
Voilà un projet qui aura suscité bien des appréhensions, de sa gestation douloureuse (déboires financiers de la MGM, départ de Guillermo del Toro) à l'annonce pour le moins surprenante d'une trilogie, sans oublier que Peter Jackson, avec sa trilogie du SDA, avait mis la barre très haut et était donc attendu au tournant. Pour être honnête, je n'attendais pas grand chose de ce film, et malheureusement mes craintes ont été confirmées.
C'était couru d'avance qu'adapter un livre tel que
Bilbo le Hobbit en 3 films n'était pas une bonne idée et relevait davantage de considérations financières qu'artistiques, mais malgré tout au fond de moi j'avais quand même envie de croire un peu en Jackson... ben non, c'était clairement mission impossible, et
Le Hobbit: Un voyage inattendu est bien ce que j'appréhendais : un long enchainement de péripéties plus ou moins intéressantes, sensées rythmer un scénario qui se résume en trois lignes.
D'emblée, on sent la volonté de Jackson de coller au plus près de sa trilogie : les scènes avec Ian Holm et Elijah Wood sont évidemment là pour permettre aux spectateurs moins avertis de savoir de quoi on parle (à savoir une préquelle et non une suite), mais elles témoignent aussi et surtout -comme les scènes ajoutées par la suite le confirment- d'une volonté d'inscrire
Le Hobbit au sein d'une saga cohérente, que ce soit au niveau du background (ce qui est normal) et de l'esprit. Et c'est sur ce dernier point que le bât blesse, puisque le roman, bien qu'il se déroule chronologiquement avant les évènements du SDA, n'a pas grand-chose à voir avec celui-ci. C'est un conte, une histoire légère où les personnages sont bien plus folkloriques et haut en couleurs que ceux que l'on croise dans le SDA (excepté quelques personnages comme Tom Bombadil... justement évincé des films de Jackson), bref c'est totalement différent au niveau du style et de l'esprit de l’œuvre. Or, et c'est là l'un des gros problèmes du film, Peter Jackson, dans sa volonté de se raccrocher à sa vision de l’œuvre de Tolkien, a cherché à combiner l'aspect mature et guerrier de sa trilogie, tout en conservant la dimension bon enfant du roman initial. Outre le fait que ça dénature considérablement l’œuvre de Tolkien, le résultat à l'écran donne surtout l'impression d'avoir le cul entre deux chaises, et à une scène de bataille violente succède une séquence humoristique où les personnages nous infligent un humour des plus lourdauds qui n'est pas sans rappeler les blagues "cheveux dans la soupe" de Gimli dans les films du SDA. Le mélange n'est malheureusement pas des plus heureux, donnant par moment l'impression d'assister à une version parodique du SDA, puisqu'à vouloir faire exactement comme dans sa trilogie (que ce soit en terme de mise en scène, de musique, d'effets de style), Jackson s'expose fatalement à la comparaison avec celle-ci, et l'exercice est malheureusement impitoyable pour
Le Hobbit puisqu'il ne peut rivaliser en terme d'enjeux, d'intensité dramatique et de scénario. Je pense que pour adapter
The Hobbit, il aurait fallu opter pour une approche similaire à celle de Tolkien : celle du conte pour enfants, mettant l'accent sur le féérique, la légèreté de l'aventure, l'aspect très dessin animé des situations. C'est là qu'on peut une fois encore regretter que Del Toro ait laissé tomber le projet, il aurait peut-être pu apporter un style et une atmosphère plus adéquate...
L'autre gros problème de ce film, et il était attendu celui-là : la longueur et le manque de rythme, imputable au découpage en trois films. Comme ça a été dit et répété, Bilbo le Hobbit c'est un roman de 300 pages. Un seul tome du SDA en compte plus de 500. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : autant dans le SDA, Jackson a été obligé de tailler dans le tas, de supprimer le superflu, bref de REPENSER l'histoire pour l’adapter au cinéma (ce qui devrait être le cas de toute adaptation cinématographique!), autant ici il a juste effectué la démarche contraire : plutôt que d'aller à l'essentiel et d'épurer les éléments non essentiels pour mettre en avant le fil conducteur, Jackson s'est au contraire évertué à montrer à l'écran chaque élément, même le plus inutile, du livre, ajoutant même plusieurs scènes pour faire raccord avec sa trilogie. Du coup, vu qu'il n'avait pas grand-chose à raconter (il faut être honnête, Bilbo le Hobbit est loin d'avoir la richesse scénaristique du SDA, alors quand en plus on s'arrête à la moitié du livre...), il s'étend plus que de raison sur les diverses péripéties qui jalonnent le périple de la troupe. Et le film n'est finalement que ça : un enchainement de péripéties que Jackson fait durer, durer, durer... certaines totalement gratuites pour montrer la qualité des SFX (le combat des géants de pierre, plus inutile tu meurs), d'autres plus justifiées mais globalement on n'a jamais l'impression de voir des évènements marquants comme la traversée de la Moria ou la scène de l'Argonath dans
La Communauté de l'Anneau. Finalement, la meilleure scène, ça reste tout le passage avec Gollum, ne serait que pour le plaisir de retrouver cette vieille fripouille. C'est encore une fois inhérent au matériau initial, mais justement Jackson aurait DÛ en tenir compte dans son travail d'adaptation. C’est une évidence, le découpage en trois films n'était absolument pas justifié, je pense même qu'il aurait été totalement possible de réaliser un seul film, qui aurait probablement été bien meilleur car mieux équilibré, plus rythmé et plus fidèle au livre, qui va à l'essentiel (rien à voir avec le SDA où Tolkien nous gratifie de descriptions à n'en plus finir).
Un mot encore sur la mise en scène de Peter Jackson. En gros, il nous refait exactement la même chose que dans le SDA mais ce qui constituaient déjà des tics de mise en scène à l'époque, à savoir une tendance à l'emphase et au pompier, est ici largement exacerbé, jusqu'à flirter avec le ridicule : la scène, à la fin du film, où Thörin fonce sur Azog sonne complètement faux tant Jackson en rajoute des tonnes, il en fait encore plus que lors de la charge d'Aragorn face aux portes du Mordor alors que c'est juste un nain qui charge un orque, c'est vraiment n'importe quoi. D'ailleurs j'ai pas beaucoup adhéré à l'aspect de Thörin, beaucoup trop "beau gosse" par rapport à ce que je l'imaginais, on dirait qu'on a voulu en faire un Aragorn version nain (mais déjà à l'époque Viggo Mortensen était jugé trop jeune et beau gosse pour le personnage tel que le décrivait Tolkien... mais c'est comme pour Arwen, il fallait des atouts charmes pour satisfaire Hollywood
). Bref, déjà que
King Kong m'avait laissé une impression mitigée (pas vu
Lovely Bones mais apparemment c'est pas génial), j'ai de grosses craintes quant à l'avenir de Peter Jackson, j'ai peur qu'on ait perdu le génial réalisateur de
Fantômes contre fantômes au profit d'un business-man qui se contente de réappliquer les mêmes recettes en mode pilote automatique.
Ce premier épisode de
The Hobbit n'est donc pas une réussite telle que pouvaient l'être les trois films du SDA, loin de là même. On pourra reprocher des choses sur la mise en scène, le scénario, mais plus fondamentalement je pense que le principal problème tient de l'adaptation en elle-même, à savoir le découpage en trois films et le ton adopté. Tout découle de là, plutôt que de réaliser un film de fantasy humble et picaresque comme le roman initial, Jackson et sa clique ont fait le choix du gros machin boursouflé pour tirer sur la corde, et espérer que les amateurs de la trilogie cinématographique suivront. Qu'il est loin l’enthousiasme du passionné qui consacrait toute son énergie à se battre contre les studios pour adapter une œuvre jugée inadaptable, cela n'est pas sans nous rappeler l'expérience d'un autre cinéaste barbu, qui lui aussi s'était cassé les dents en voulant revenir à sa saga...
Ce n'est certes pas un mauvais film, il est clair qu'il a plusieurs qualités : direction artistique toujours au top, effets spéciaux excellents, casting irréprochable, scènes d'action bien fichues... Et malgré tout, j'ai pris un certain plaisir en me replongeant dans les Terres du Milieu, mais, contrairement aux films du SDA (même les versions longues), j'ai ici trouvé le temps long, et j'étais content que ça se termine. Ça veut tout dire, je pense.
6/10