99 Francs de Jan Kounen
(2007)
Après un excellent
Dobermann, un
Blueberry étonnant de par son traitement et deux documentaires sur le chamanisme, il était pour le moins surprenant de retrouver Jan Kounen derrière
99 Francs. Non pas que le sujet en soi ne s'accorde pas avec le réalisateur, bien au contraire (il était même bien placé, ayant lui aussi travaillé dans le milieu de la publicité), mais force est de constater que le film contraste vraiment avec le reste de la filmographie de Kounen dans la façon dont il a été vendu à l'époque, à savoir une comédie satirique sa basant uniquement sur son acteur principal. Pourtant, à l'instar de
Blueberry, Kounen s'empare réellement de son sujet pour créer une véritable identité visuelle, et là où son précédent film s'enlisait beaucoup trop dans des choix scénaristiques douteux,
99 Francs respecte presque à l'identique la trame du roman original, tout en rajoutant une réelle densité à son propos, ainsi qu'une construction moins linéaire et beaucoup plus cinématographique dans l'esprit.
"Quand à force d’économie vous réussirez à vous payer la bagnole de vos rêves, je l’aurais déjà démodé. Je suis celui qui pénètre votre cerveau, je jouis dans votre hémisphère droit. Votre désir ne vous appartient plus, je vous impose le mien. Jamais crétin aussi irresponsable que moi n’a été si puissant depuis 2000 ans."
Dès le premières minutes du film, on sait déjà que l'on est face à une œuvre hors-norme dans le paysage du cinéma français. En ayant comme principale influence le
Fight Club de David Fincher, Jan Kounen se lâche totalement sur le plan visuel en multipliant les informations données à l'écran pour un résultat assez bluffant proche du méta-film (la fausse fin, les clins d’œil multiples au spectateur sur ce qu'il a vu précédemment, une publicité du dvd du film avant le générique de fin, etc...). Là où la dernière partie de
Blueberry était très gratuite dans son déroulement, le moindre effet de style ou ajout visuel est ici parfaitement justifié par le propos même du métrage, faisant de
99 Francs une véritable mise en abyme de son sujet ainsi qu'un film à tiroir efficace et qui, malgré les multiples visions, a toujours quelque chose de nouveau a révéler au spectateur attentif. Sur le plan de l'adaptation même, le film respecte véritablement le ton ultra satirique et osé du livre de Frédéric Begbeider et se démarque très largement des comédies habituelles du paysage cinématographique français et ce, malgré la présence de Jean Dujardin sur la totalité de l'intrigue qui aurait pu laisser présager une œuvre bien plus consensuelle.
"Bon écoute-moi bien, espèce de pompe à merde, quand tu vas chez le dentiste, tu lui dis pas comment faut faire ? Tu lui fais confiance ! Eh bien là c'est pareil, tu nous fais confiance !"
Heureusement, il n'en est rien, puisque
99 Francs s'impose véritablement comme un monument d'humour noir et osé, avec des nombreuses répliques instantanément cultes, où l'on n'hésite pas à cracher autant à la face des consommateurs que des employés du milieu de la publicité, où l'on tue du nouveau-né en dessin animé et où le système publicitaire entier en prend pour son grade, le tout sans jamais tomber dans un sérieux qui aurait pu nuire grandement au métrage. En terme de mise en scène pure, le film est certainement le plus réussi de la carrière de Kounen, avec des trips visuels franchement réussis qui montrent toujours des influences de bon goût (
2001, L’Odyssée de l'Espace notamment) et qui ne donnent jamais la sensation d'une surenchère gratuite. On pourra sûrement chipoter sur la dernière partie en Amérique du Sud qui souffre de quelques longueurs, mais la conclusion fait que ces séquences se révèlent vraiment utiles pour créer une réelle empathie envers le personnage et donner ainsi une signification toute autre sur les derniers plans du film.
"Octave revient de loin. Pour lui la vie sans cocaïne c'est presque une découverte, c'est un peu comme la vie sans télé pour certains, tout est plus lent et on s'ennuie vite. Il se dit que c'est peut être ça le secret qui sauverait le monde, accepter de s'ennuyer. Pas facile..."
Jean Dujardin confirmait là son talent comique tout en rajoutant une certaine composition dans ce personnage qui va finalement connaître une descente aux enfers des plus rythmées, à noter aussi l'un des meilleurs rôles de Jocelyn Quivrin, la présence de la magnifique Vahina Giocante ou encore une longue galerie de seconds rôles tous aussi bons les uns que les autres : Patrick Mille, Nicolas Marié, Antoine Basler et même Jan Kounen dans un caméo bien déjanté. Clairement l'une des meilleures comédies des années 2000, l'un des pièces filmiques françaises les plus remarquables de ces dernières années et le meilleur film de Jan Kounen à ce jour.
"Je suis de ceux qui vous font rêver des choses que vous n’aurez jamais. Ciel toujours bleu, nanas jamais moches, bonheur parfait retouché sur Photoshop. Vous croyez que j’embellis le monde ? Perdu. Je le bousille."
NOTE : 9,5/10