L'Invraisemblable Vérité (Beyond a Reasonable Doubt), Fritz Lang, 1956
Ça faisait un moment que je voulais découvrir ce film de Lang (faut dire qu'il s'est fait attendre ce coffret Wild Side!), et je dois dire que je ne suis pas déçu, tant
L'Invraisemblable Vérité m'est apparu comme un film brillant d'ingéniosité, une démonstration diabolique de la part du cinéaste.
Partant d'un synopsis original, le film se présente tout d'abord comme un réquisitoire contre la peine de mort. Ce thème obsédait visiblement Lang, puisqu'on le retrouve déjà dans
M le Maudit, puis dans
Furie et
J'ai le droit de vivre. Ici, le cinéaste décide de tourner en ridicule le système en prouvant que celui-ci est capable de condamner un innocent, et pour cela le film nous déroule méthodiquement le stratagème mis au point par les deux protagonistes, en s'attachant à démontrer que rien n'est laissé au hasard. Cf les photos, le lait de corps sur les sièges, la séduction de la danseuse... il y a presque un côté documentaire dans cette volonté de présenter la mise en place de ce plan de la façon la plus crédible possible. Sauf que, bien évidemment, il fallait qu'un grain de sable vienne enrayer cette machine trop bien rodée, et c'est là que le film bascule dans le film noir dans ce qu'il a de plus pur, c'est à dire quand il nous présente un individu normal qui se retrouve piégé dans un engrenage fatal auquel il ne peut résister. On pourra reprocher à l'évènement qui provoque ce basculement d'être trop attendu, trop évident (faut dire que cette faille du plan est tellement visible qu'on se demande comment Andrews n'y a pas pensé lui-même), mais c'est absolument nécessaire pour plonger le "héros" dans cette spirale mortelle. Alors qu'il voulait dénoncer le système, il se retrouve piégé par celui-ci et n'a plus aucun moyen de faire éclater la vérité, en dépit des efforts de sa compagne.
Tout semble alors nous acheminer vers une issue fatale qui nous renverrait à l'excellente séquence d'ouverture et porterait la touche finale au pamphlet anti-peine de mort de Lang, quand subitement le film semble nous diriger vers un dénouement heureux. Sur le coup j'ai tiqué (l'happy-end forcé était déjà un des rares défauts que je trouvais à
La Femme au portrait, par exemple), mais c'est alors que le film nous prends de cours en nous assenant un ultime rebondissement qui renverse complètement notre point de vue. Sur le moment j'avoue avoir été sceptique, puis en y repensant ça se tient complètement et c'est même carrément brillant. Lang nous manipule complètement, brouillant nos repères, et ce n'est donc plus de la question de la peine de mort qu'il s'agit au final, mais bien de la différence ténue entre un coupable et un innocent, et plus particulièrement tout ce qui conditionne le point de vue que l'on se fait d'un individu (à ce titre, le personnage de Joan Fontaine incarne le point de vue du spectateur, qui partage donc sa stupeur). C'est également là qu'on réalise à quel point le choix de Dana Andrews pour ce rôle est bien vu, puisque son physique de monsieur tout le monde sert à merveille le personnage dans toutes les situations auxquelles il est confronté et contribue grandement à brouiller les pistes.
Je regrette tout de même que le film n'ait pas eu le courage d'aller au bout de sa démonstration implacable et se finisse tout de même sur un happy-end
Un mot pour finir sur l'aspect formel : moins marqué par l'esthétique film noir et l'expressionnisme allemand propre à Lang (il faut dire que nous sommes en 1956, c'est assez tardif et les canons esthétiques du film noir ont évolué depuis
Le Faucon Maltais), il n'en demeure pas moins soigné, davantage axé vers un réalisme qui sert remarquablement le propos du film et son côté documentaire que je mentionnais plus haut. Pour résumer, on se situe davantage dans l'esthétique des polars des années '60 que des films noirs des années '40, mais ce n'est pas un défaut, loin de là.
Bref, ce film est un bijou, une réussite de plus à mettre à l'actif d'un réalisateur qui fut assurément l'un des plus grands de l'histoire du cinéma. Hâte de découvrir le deuxième film du coffret maintenant.
8/10