Après
L’Ennemi Intime, certainement le plus bel essai du film de guerre à la française en plus d'être une production risquée qui ne trouvera hélas pas le succès qu'elle méritait, Florent Emilio Siri était définitivement attendu au tournant. Lui qui, depuis son fabuleux
Nid de Guêpes, avait toujours réussi à surprendre son public, même lorsqu'il s'expatriait aux États-Unis. C'est avec donc une très grande surprise que l'on apprenait son retour sur un projet peu tentant, celui du fameux biopic du chanteur Claude François, figure incontestable du paysage musical français mais devenue dès ses premiers succès un stéréotype moqué et parodié, phénomène qui n'a fait prendre que d'ampleur avec les années. Pourtant, et malgré tout ce que l'on peut penser de la qualité des chansons du personnage, force est de constater que sa vie avait tout pour être portée à l'écran tant elle regorge de thématiques puissantes en plus d'être romancée à l'origine, Claude François ayant eu la manie contrôler le moindre aspect de sa vie privée.
La principale crainte d'un tel biopic serait venue d'une volonté de trop se consacrer à l'artiste au détriment du personnage, et c'est clairement ce que Florent Emilio Siri évite avec succès. Le cinéaste, trouvant de nombreux points communs entre sa propre vie et celle du chanteur (relation père/fils déchirée, famille modeste, artiste ayant peur de ne plus pouvoir vivre de sa passion), livre là un récit à la fois passionné et ne tombant jamais dans le stéréotype.
Cloclo n'hésite pas à mettre le doigt sur les défauts compulsifs du chanteur, au point de le montrer dans des situations clairement embarrassantes (traitant ses employés comme des animaux, filature d'une femme qui lui plaît, jalousie extrême maladive, rompt avec France Gall parce qu'elle gagne l'Eurovision ou encore déchéance physique lorsqu'il tente de lutter contre son âge apparent) et c'est véritablement ce qui fait sa force, puisque le film ne présente jamais le personnage comme un modèle, ce qui permet au spectateur de créer une relation tenant entre l'empathie d'une volonté sincère et le dégoût de ses manières extrêmes pour arriver à ses fins. Par une durée longue mais totalement justifiée, Siri raconte de manière brillante une vie véritablement dense, le tout en restant captivant d'un bout à l'autre du métrage.
Jamais un biopic français n'avait été aussi réussi, Siri s'inspirant des meilleurs modèles outre-Atlantique, et notamment au cinéma de Martin Scorsese auquel il emprunte une fluidité de narration, une rythmique musicale qui sert véritablement les passages obligés des représentations du chanteur, ainsi que certains aspects visuels techniques, notamment l'utilisation du plan-séquence. Récit humain prenant, voire même déchirant, ponctué de séquences mémorables (le passage où Claude François écoute la reprise de Frank Sinatra, véritable climax émotionnel où l'envie de plaire à son paternel prend le pas sur la fierté personnelle),
Cloclo s'impose aisément comme une réussite grandiose, dirigée de main de maître par un Siri que confirme sa capacité à toucher tout les genres sans jamais tomber dans la répétition des codes. Entre plans-séquences virtuoses (celui de la fête étant techniquement très impressionnant), découpage maîtrisée et cadre sublimé, Siri livre certainement son plus beau travail de mise en scène, ne tombant jamais dans le tape à l’œil et servant le récit au mieux.
Compositeur attitré du cinéaste, Alexandre Desplat livre certainement un de ses plus beaux travaux, avec notamment un thème principal très beau. Enfin, Siri démontre une nouvelle fois sa capacité à tirer de ses acteurs le meilleur et permet à Jérémie Renier de trouver le rôle de sa vie via une interprétation phénoménale. Benoît Magimel prouve une nouvelle fois quel excellent acteur il peut être, et Joséphine Japy en France Gall est une révélation vraiment surprenante. Avec
Cloclo, Florent Emilio Siri s'impose une nouvelle fois comme l'un des réalisateurs français en activité les plus talentueux, nul doute qu'il continuera à surprendre de nouveau par la suite. Mais avec un tel succès sur un biopic aussi risqué, on peut aisément penser qu'il est désormais capable du meilleur, quel que soit le sujet ou genre qu'il choisira d'aborder.
A noter que la version longue, même si elle ne s'impose pas comme indispensable (la version cinéma étant la director's cut de Siri) a tout de même le mérite d'appuyer encore plus le côté maniaque du personnage via plusieurs petites séquences et rajoute même une scène vraiment réussie où l'on tente d'assassiner Claude François.